Dans le cadre du grand débat sur l’énergie en France, un des grands soucis des économistes néoclassiques est d’assurer une transition énergétique raisonnable pour ne pas grever la compétitivité. Ainsi, Jean-Hervé Lorenzi, Président du cercle des économistes estime que « La transition n’est pas forcément lié à un nouveau modèle croissance. »
Transition énergétique et transition économique
La transition énergétique implique-t-elle une transition économique ?
Dans le cadre du grand débat sur l’énergie en France, un des grands soucis des économistes néoclassiques est d’assurer une transition énergétique raisonnable pour ne pas grever la compétitivité. Ainsi, Jean-Hervé Lorenzi, Président du cercle des économistes estime que « La transition n’est pas forcément liée à un nouveau modèle croissance. »
La transition énergétique est peut-être possible sans changer de modèle « croissance », mais est-ce le meilleur moyen d’y parvenir ? Ne vaudrait-il pas mieux conjuguer transition énergétique et transition économique?
Un modèle de croissance basée sur la diminution des recettes fiscales
Depuis la prise de pouvoir des économistes néoclassiques, la mesure dominante pour relancer la croissance consiste pour l’essentiel à diminuer la pression fiscale, essentiellement sur les hauts revenus et les entreprises. Selon le modèle « mainstream », l’argent qui n’est pas versé à l’Etat est injecté en investissements dans l’économie « réelle », c’est-à-dire la production. Cela signifie une politique de l’offre qui affirme que la demande augmente en rapport avec l’augmentation de l’offre, le fameux « l’offre crée la demande » de Jean-Baptiste Say.
Une économie hyper-financiarisée
Dans une économie hyper-financiarisée, une part non négligeable des gains obtenus grâce à la baisse des impôts est au contraire utilisée afin de spéculation sur les marchés boursiers et dessert donc une politique de l’offre à laquelle ne répond que partiellement une demande anémiée en raison de l’importance du chômage et d’une tendance à la baisse des petits salaires.
Une relance keynésienne serait-elle mieux ?
Une relance keynésienne consiste en ceci : relance de la croissance par l’investissement de l’état à l’aide d’une politique de grands travaux. Cette politique, tant décriée par les néolibéraux, a néanmoins dynamisé jusque dans les années 80 tout le secteur de la construction aux Etats-Unis grâce aux investissement massifs de l’état fédéral dans le projet de la construction des « interstates », les autoroutes reliant tous les états américains. En France, la filière nucléaire ne serait pas ce qu’elle est sans les investissements massifs de l’Etat.
Les secteurs énergétiques traditionnels en cause
La résistance des secteurs énergétiques traditionnels combattent ce principe dont ils ont eux-mêmes bénéficié en leur temps, leur permettant de réaliser rapidement des économies d’échelle, ces dernières leur permettant d’atteindre rapidement des seuils de rentabilité confortables.
Ce qui les chagrine, ce n’est pas de distinguer dans le budget de l’Etat, la dette pure (lié au fonctionnement de l’Etat), de ce qui pourrait s’appeler la dette d’investissement, au service de la relance économique, mais bien la nécessité pour mener une relance keynésienne d’augmenter les impôts. Dans le crédo idéologique libéral, l’augmentation des impôts est un sujet tabou. Pourtant, la source du déficit abyssal des États-Unis est essentiellement due à la réduction de la pression fiscale continue appliquée depuis près de trente ans et non pas à des interventions de l’Etat par une relance keynésienne.
Les énergies renouvelables, nouveau champ d’une relance keynésienne ?
Au vu des urgences liées à la crise de l’énergie, il semble, en tout cas à première vue, qu’une politique keynésienne d’investissements dans les énergies renouvelables permettrait à ces dernières un véritable décollage économique. Rappelons ici que le solaire, l’éolien et la géothermie représentent 0,9 % de la production mondiale primaire d’énergie en 2010. Autant dire une paille.
La limite, hors celles dénoncées par les néolibéraux, de la relance façon Keynes est qu’elle doit stimuler la demande et donc l’augmenter, alors même que la transition énergétique devrait se traduire sur le plan économique par une baisse de la demande ou une restructuration complète de celle-ci.
L’économie officielle en manque de solutions imaginatives
Le milieu traditionnel des économistes reconnus ne parvient pas à sortir de l’équation posée par les pères fondateurs de l’économie de marché. Des modèles économiques hétérodoxes propres à développer de nouveaux types d’économie existent pourtant, tel que le modèle de l’économie circulaire.
Economie de l’énergie : un nécessaire changement de paradigme
Si quelque chose de l’ordre de la relance keynésienne serait bienvenu, il reste que le développement des énergies renouvelables change de facto le modèle économique en privilégiant la multiplication de petites unités de production et d’unités très moyennes. Là où il faut un réacteur nucléaire pour une puissance de 1000 MW, il faudra des centaines d’installations solaires individuelles, une dizaine de champs éoliens et une dizaine de centrales solaires voltaïques et à concentration.
Les grands groupes énergétiques ne désirent aucunement que le citoyen, de simple consommateur, devienne également producteur. Pas plus, ils ne désirent que des collectivités locales prennent en main leur destin énergétique en produisant de l’énergie, car cela diminuerait d’autant le pouvoir exorbitant dont ils jouissent aujourd’hui encore. Le développement des énergies renouvelables implique tout ce qu’ils redoutent.
A cela s’ajoute le volet « efficacité énergétique » de la transition énergétique, c’est-à-dire la bonne vieille chasse au gaspi. Pour les grands groupes énergétiques comme EDF ou Total, toute baisse de la consommation d’énergie diminue leurs bénéfices et dans la logique de financiarisation de l’économie, toute baisse des bénéfices entraîne une baisse boursière de leur valeur. Ils ne parviennent pas à voir leur activité au-delà de l’aspect de pure rentabilité financière. Ils souffrent d’un défaut de vision quant à l’avenir et ne savent plus qu’ânonner l’antienne d’une baisse des charges !
Energies renouvelables : des investissements massifs pour une économie nouvelle
Relance keynésienne ou pas, le développement des énergies renouvelables nécessite une politique d’investissements massifs et il ne semble pas qu’aujourd’hui le secteur privé s’y résolve. Pour la France, l’UFE estime le montant à 590 milliards d’euros(1) (soit 1/3 de la dette publique de la France au 3ème trimestre 2011 – chiffres Insee) et le seul soucis du directeur général de GDF Suez est de trouver un moyen de rémunérer les investissements, donc, en langage clair, d’engranger des bénéfices !
Quant à l’Etat, déjà lourdement endetté, son projet d’impôt environnemental vise à contribuer à hauteur de 3 milliards d’Euros au financement d’un crédit d’impôt pour les entreprises. Cela ne sera pas suffisant. Mais tant que de la dette destinée à l’investissement sera assimilée à un pur déficit, l’Etat ne parviendra pas pour des raisons idéologiques à s’engager dans une politique d’investissement digne de ce nom.
Ce que les politiques n’osent pas dire
Ce que les politiques n’osent pas dire aujourd’hui est que la transition énergétique exige un effort de tous : particuliers, entreprises et collectivités locales. Un effort à la fois d’investissement, donc mettre en place un système privilégiant tous les investissements destinés à construire une nouvelle filière, celle des énergies renouvelables.
Ce que les politiques n’osent pas dire aujourd’hui c’est que la situation sur le plan énergétique est une situation comparable à une situation de guerre. D’une part, les ressources fossiles seront un jour épuisées et il faudra soit se passer d’énergie, soit engager la transition vers les énergies propres, d’autre part, si le changement climatique se confirme, le modèle de croissance que les néolibéraux ne veulent surtout pas changer car il sert entièrement leurs petits intérêts financiers sera totalement impuissant à éviter les catastrophes écologiques et plus impuissant encore à les « réparer ».
Si les politiques n’osent pas dire la seule chose à dire c’est qu’ils craignent, à énoncer clairement le constat qui s’impose, de ne pas se faire réélire et de se faire taper sur les doigts par un patronat irresponsable dans sa vision de l’économie.
Transition énergétique et transition économique : les énergies renouvelables, une belle aventure et une opportunité formidable
En conclusion, au-delà de la transition énergétique, les énergies renouvelables sont une opportunité formidable de refonder nos sociétés et le modèle économique du capitalisme au profit d’une économie dont le seul but ne serait pas l’enrichissement personnel, mais avant tout la collaboration à un système plus équilibré. Après tout, quel est le but d’une entreprise comme la SNCF ? Est-ce de faire le maximum de profits ou de dégager un chiffre d’affaires suffisant à payer correctement les gens qui y travaillent et assurer l’entretien et le développement du réseau ferroviaire.
Cela semble bien sûr totalement hérétique aux économistes « mainstream » pour qui le seul moteur de l’action humaine est le profit et le seul profit. Au contraire, pour tous ceux qui estiment le système actuel à bout de souffle ou qui en souffrent d’une manière ou d’une autre dans leur vie quotidienne en raison des pressions exercées par l’obsession de la compétitivité et de la rentabilité, la transition énergétique et les énergies renouvelables devraient être perçues comme une fantastique aventure collective à même de réinventer un génie occidental en perdition. Dans son expression actuelle, il n’a plus rien à nous offrir sinon à croire que le bonheur et le bien-être se résume à consommer chaque jour un peu plus que le précédent. Une stratégie qui dessine une apocalypse qui n’a rien à voir avec les Mayas mais bien avec le manque de courage et l’irresponsabilité des politiques, des financiers et des entrepreneurs de l’âge du carbone !
Thierry Tacite