Le manque d’intérêt du système financier pour le financement du développement et la carence des gouvernements ont suggéré l’idée de trouver de nouveaux mécanismes financiers basés sur des prélèvements quasi-indolores.
Les financements innovants
Le manque d'intérêt du système financier pour le financement du développement et la carence des gouvernements ont suggéré l'idée de trouver de nouveaux mécanismes financiers basés sur des prélèvements quasi-indolores. Les sources : des flux de capitaux massifs, dont la croissance est liée à la globalisation économique et financière. Les emplois, le développement, la lutte contre le réchauffement climatique, la protection de la santé dans les pays en développement.
Système financier et développement durable
Les réunions périodiques du G7, puis du G20, suite au déclenchement de la crise financière de 2007, ne sont pas exclusivement consacrées à la résolution des problèmes financiers internationaux ou à la régulation de l'économie mondiale. Un aspect relégué à un second plan, mais cependant réel, concerne le développement économique des pays retardataires, la lutte contre la pauvreté et les problèmes environnementaux, facteurs eux aussi d'appauvrissement de l'humanité.
Les prises de position des pays du Nord et des « grands émergents » s'inscrivent naturellement dans le cadre tracé par les grandes négociations multilatérales : « Objectifs du Millénaire » de l'ONU, « sommets de la Terre » successifs, dont le 20ème anniversaire sera célébré à Rio cette année.
Effet d’annonce
Que peuvent devenir les bonnes intentions des communiqués de presse, lorsque le financement public en faveur de ces grandes causes d'intérêt planétaire demeure désespérément faible ? C'est depuis longtemps un lieu commun de constater que seuls les pays du Nord de l'Europe (le Danemark, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas et la Suède) remplissent régulièrement l'objectif de don de 0,7 du PIB en termes d'aide publique au développement, dont la totalité ne représente qu'à peu près 128 milliards de dollars en 2010 (à comparer aux 1630 milliards dépensés en armements la même année). Au-delà d'annonces très médiatisées, le « Plan Marshall pour l'Afrique » décidé par le G7 de Londres en 2005, est également un flop.
A cette volonté politique défaillante s'ajoute, depuis 2 ans, une instabilité des finances publiques telle que la priorité des gouvernements demeurera pour longtemps leur désendettement, avec pour corollaire une concentration sur leurs priorités domestiques, au détriment des plans d'action internationaux.
Sans même attendre cette période, des hommes d'État animés par une vision de plus long terme se sont mis, à la suite de la conférence de Monterrey en 2002, à la recherche de sources de financement plus pérennes et plus régulières, non soumises à des politiques nationales versatiles. L'objectif est ainsi d'émanciper le financement des politiques internationales de développement, de santé et de protection de l'environnement, en apportant une masse critique, stable et durable de fonds publics, susceptible de cautionner et d'attirer des financements privés plus étendus (issus de fondations, d'ONG, d'entreprises), par effet de levier. Le « Groupe pilote sur les contributions de solidarité en faveur du développement » constitué en 2006 et qui regroupe actuellement 63 pays de différents niveaux de développement, ainsi que la Banque Mondiale et l'Organisation Mondiale de la Santé est la principale enceinte d'échange de vues et d'exploration de nouvelles techniques dans ce domaine.
Balbutiement des financements innovants
Ces « financements innovants » se caractérisent par la légèreté extrême de chaque prélèvement individuel, compensée par la masse colossale des flux formant leur assiette. Celle-ci est constituée par des activités tirant profit de la globalisation, comme les transports, le commerce, la finance.
On peut citer, parmi les instruments conçus et mis en pratique à ce jour :
- la contribution sur les billets d'avions mise en place par la France depuis 2005, puis par 5 autres pays, comparable à un droit de timbre ; mais au rendement modeste (320 millions de dollars par an...) et qui finance UNITAID, centrale d'achat de médicaments de lutte contre le VIH/SIDA,
- la garantie d'achat futur (AMC), destiné à faciliter la mise au point par l'industrie pharmaceutique de médicaments spécifiquement destinés aux pays en développement,
- la facilité internationale de financement de la vaccination (IFFIm), d'initiative britannique,
- le projet de « taxe carbone » européenne.
D'autres initiatives sont actuellement en discussion, comme réserver une part du produit de la vente aux enchères des quotas de CO2 pour le financement de projets d’atténuation des émissions et d’adaptation au changement climatique, ou le projet de directive européenne de création d'un système commun de taxation des transactions financières. C'est certainement cette dernière idée qui suscite le plus de controverses et de polémiques, en même temps qu'un intense lobbying de la part du monde de la finance.
L'Institut Thomas More, d'inspiration libérale, propose ainsi un « benchmarking » érudit et approfondi des différents « financements innovants » où figure la taxation des transactions financières, qui, selon les critères retenus, serait à la fois d'une efficacité incertaine, d'une médiocre prévisibilité, et surtout facteur de distorsions de concurrence, au cas où tous les pays concernés ne l'appliqueraient pas simultanément.
Des freins structurels et institutionnels
Ici apparaît un des problèmes majeurs pour la mise en service de ce type de taxe : le consensus nécessaire d'une masse critique de pays concernés. La possibilité pour l'un d'entre eux de tirer son épingle du jeu (le Royaume-Uni pour la taxation des produits financiers, par exemple) suffit à limiter fortement voire à ruiner l'impact du mécanisme institué. L'inconvénient est moindre pour des financements assis sur des biens ou services matériels, comme le transport aérien ou maritime.
Une menace plus grave peut toutefois peser sur le projet de taxe en débat, celle des conflits d'objectifs. Le rendement escompté de la taxe européenne sur les transactions financières (57 milliards d'euros, 40% du produit de la TVA française pour 2012) est évidemment alléchant pour des gouvernements européens pris au piège de la dette accumulée. Il est inquiétant de constater, de ce point de vue, que le vote par le Parlement Européen, le 9 mars 2011, d'une taxe sur les transactions financières a été précédé de l'adoption d'un rapport assignant comme objectifs aux financements innovants à créer de « dégager de nouvelles ressources additionnelles pour répondre aux principaux défis mondiaux et européens, tels que le changement climatique et les objectifs pour le développement, et d'instaurer une croissance plus élevée à long terme dans le cadre de la stratégie Europe 2020 ».
Une autre piste de recherche est d'affecter le produit de la taxe à un fonds de secours qui serait chargé de réparer les dégâts de futures crises financières à venir... En outre, l'affectation du produit de la taxe à lever dans le cadre européen ainsi défini resterait à la discrétion des gouvernements nationaux.
Au-delà des proclamations héroïques de certains gouvernements, il faut donc constater la modestie des résultats enregistrés pour l'instant et ne pas se dissimuler les obstacles à la mise en service des « financements innovants » d'impact réellement significatif.
La démarche qui préside à leur création présente cependant l'intérêt majeur de tirer pleinement les conséquences de la globalisation, dont les bénéficiaires sont mis à contribution pour compenser certains de ses inconvénients. Son aspect pragmatique est lui aussi séduisant, avec une phase de réflexion sur les objectifs à atteindre et les outils de financement adaptés, puis d'expérimentation par certains pays volontaires, en attendant une extension, voire une généralisation. Dans toute la mesure du possible, la limitation de la circulation des fonds entre pays donateurs et les gouvernements des pays-cibles, au profit d'un « circuit court », où les fonds sont directement affectés à une aide en nature est aussi un facteur d'efficacité, par la réduction des « pertes en ligne » des fonds affectés. Enfin, l'affectation à des projets d'intérêt planétaire permet de poser les premiers jalons financiers de ce que pourrait être une gouvernance mondiale dépassant les gouvernements nationaux.
Benoît Forin