Depuis quelques années, Jérôme Chappellaz travaille sur l’élaboration d’une sonde laser pour explorer la calotte glaciaire. Une méthode révolutionnaire pour accéder à l’histoire du climat de la planète…
Subglacior, une sonde pour remonter le temps
Directeur de recherche au CNRS, Jérôme Chappellaz est responsable de l’équipe CLIPS (CLImat : Passé, Présent, ProjectionS) au laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement, à Grenoble. Avec le groupe «Gaz», il reconstitue l’évolution du climat et de la composition de l’atmosphère à partir de l’étude des gaz piégés dans les glaces de l’Antarctique et du Groenland. Depuis quelques années, il travaille sur l’élaboration d’une sonde laser pour explorer la calotte glaciaire.
Ce projet est né grâce à une succession de hasard. Il y a 7 ou 8 ans, je me suis retrouvé à discuter avec des confrères d’un laboratoire situé à 500 mètres du mien. Eux travaillent dans le domaine de la physique laser. Ils ont mis au point un procédé de reconnaissance des gaz traces.
Le glaciologue comprend l’utilité d’un tel dispositif appliqué à son domaine de prédilection. Il décide de transposer la découverte de Daniele Romanini, du laboratoire interdisciplinaire de physique, vers la glaciologie. Un soutien financier de l’agence nationale de la recherche (ANR) permet de construire un premier instrument de laboratoire et de réaliser une expérience sur le terrain au Groenland, en 2010, sur une carotte de glace déjà prélevée. L’essai est fructueux. Les données récoltées sont précises et fidèles à la réalité. Arrive un deuxième coup de pouce du destin:
Jean Jouzel, un célèbre climatologue français, parle de mon projet à la Fondation BNP Paribas qui est emballée par le concept. Leur soutien nous a permis de mettre le pied à l’étrier pour la phase suivante, beaucoup plus ambitieuse.
Le projet obtient un financement de l’ERC
Les soutiens de l’ANR et de la fondation BNP Paribas permettent de mettre des éléments concrets dans un nouveau dossier envoyé à l’European Research Council (ERC).
Chaque année, l’ERC lance un appel d’offres. Plus de 2 000 chercheurs au niveau international, dans tous les domaines scientifiques, y répondent. Environ 250 obtiennent une bourse au final.
Fin 2011, le projet est retenu. L’ERC va financer les recherches pour une durée de 5 ans. L’évaluation du dossier se fait sur deux critères principaux:
La qualité du candidat, le jury regarde le CV du porteur de projet. Et le caractère innovant du projet. Il doit être «à risque» et, s’il aboutit, apporter une vraie plus-value à la science.
Et le projet qu’a présenté Jérôme Chappellaz est révolutionnaire. Son objectif est de créer une méthode de substitution au forage conventionnel des carottes de glace. La sonde que veut développer Jérôme Chappellaz utiliserait la technologie laser, pour récupérer les données in-situ:
Actuellement il faut forer 4 à 5 ans pour obtenir de la glace intéressante. Et si l’endroit n’est pas bon, il faut repartir sur une période de 4 à 5 ans. Avec notre technologie, ça prendrait 3 mois maximum. C’est un gros gain financier et humain.
Objectif un million d’années
Nommée Subglacior, «une référence au nom du vaisseau dans Les sarcophages du 6ème continent, une aventure de Blake et Mortimer», la sonde devrait pouvoir récupérer des informations dans des glaces vieilles de plus d’un million d’années, époque d’une transition climatique majeure, pour des raisons encore ignorées par les climatologues.
Pour cela il faudra aller à 3 ou 4 kilomètres de profondeur. La progression de la sonde se fera par un combiné de deux méthodes. Le forage thermique pour produire des échantillons et le broyage électromécanique, moins énergivore.
Les premiers voyages de la sonde glaciaire sont programmés pour l’été austral 2014/2015 ou 2015/2016. D’ici là, l’équipe de recherche devra surmonter plusieurs «verrous technologiques»: miniaturiser la technologie laser pour qu’elle tienne «dans un cylindre de 7cm de diamètre et 120cm de long»; gérer l’évacuation des copeaux produits par le broyage; enfin, trouver un moyen d’éviter que le glacier se referme sur la sonde ainsi qu'une méthode pour récupérer cette dernière.
Si le projet aboutit, Jérôme Chappellaz prévoit déjà d’autres utilisations potentielles pour Subglacior:
On pourrait l’utiliser dans d’autres programmes. Étudier le comportement des grands glaciers de l’Antarctique et du Groenland, et contraindre leur contribution au niveau des mers. On peut aussi imaginer des applications océanographiques, car il est possible de mesurer les gaz dissous dans l’eau.
Gaspard Mathé