L’un des débats les plus controversés de la médecine concerne aujourd’hui le dépistage du cancer, qui présente évidemment des avantages indiscutables. En effet, beaucoup estiment qu’un dépistage précoce serait logiquement censé conférer un avantage aux patients dans la lutte contre la maladie. À vrai dire, les faits n’appuient pas systématiquement cette hypothèse. Le cancer de la prostate en est un bon exemple.
Révélations en matière de dépistage du cancer
Par Marc B. Garnick
BOSTON – L'un des débats les plus controversés de la médecine concerne aujourd'hui le dépistage du cancer, qui présente évidemment des avantages indiscutables. En effet, beaucoup estiment qu’un dépistage précoce serait logiquement censé conférer un avantage aux patients dans la lutte contre la maladie. À vrai dire, les faits n'appuient pas systématiquement cette hypothèse. Le cancer de la prostate en est un bon exemple.
Le dépistage implique l'examen en masse d'individus d'un certain âge et d'un certain sexe, sans considération de leurs antécédents familiaux ou de leur propre santé, afin d'identifier un éventuel état pathologique. Pour que le dépistage soit utile, le test conduit ou la procédure effectuée doit pouvoir identifier facilement la maladie en question, et le traitement qui suivra doit se traduire par un résultat bénéfique mesurable. Autrement dit, on doit pouvoir en arriver à une situation dans laquelle la population dépistée présente une santé meilleure que celle de la population non-dépistée.
À l’égard de certains problèmes de santé – comme un taux de cholestérol élevé – le dépistage aboutit à des résultats positifs : un simple test sanguin mesure les quantités de bon et de mauvais cholestérol dans le sang, ce qui facilite la détection de maladies cardio-vasculaires, qui entraînent crises cardiaques ou accidents vasculaires cérébraux. Les personnes bénéficiant d’un dépistage, d’un diagnostic, puis d’un traitement présentent un moindre taux d’incidents cardiovasculaires.
Le dépistage du cancer de la prostate nécessite également une prise de sang – le test de l'antigène prostatique spécifique (APS). Un taux élevé d'APS suggère la présence d'un cancer de la prostate, même si aucune anomalie physique n'a été détectée. On effectue alors à une biopsie tissulaire. À ce stade, un diagnostic peut être établi. S'il est positif, on procédera ensuite au traitement du cancer, qui s’effectuera par chirurgie ou radiothérapie. Enfin, on l’espère, le patient pourra être guéri.
Les partisans du dépistage font valoir qu'il permettrait de détecter et de traiter le cancer plus tôt, lorsque les chances de guérison sont les plus élevées. Par ailleurs, à la différence des autres, les patients les plus jeunes résistent davantage aux effets secondaires accompagnant le traitement du cancer. Ses adeptes soutiennent également que la baisse de l'incidence globale des décès par cancer de la prostate observée au cours des deux dernières décennies s’expliquerait par un recours de plus en plus en répandu au test de l'APS, et encouragent la mise en place de programmes de dépistage plus rigoureux.
Pourtant, les avantages du dépistage ne sont pas aussi évidents que le prétendent ses partisans. Il est évident que la population d’hommes à risque – par exemple les hommes présentant des antécédents familiaux de cancer de la prostate, les Afro-Américains, ou les hommes souffrant d'une hypertrophie de la prostate et traités par inhibiteurs de la 5 alpha-réductase (dont l'échec à réduire le taux d'APS pourrait révéler un risque accru de développement d’un cancer de la prostate) – doive envisager de procéder à ce test.
En revanche, en ce qui concerne la plupart des hommes en bonne santé, la United States Preventive Services Task Force (USPSTF) – panel indépendant de premier plan, réunissant des experts en matière de prévention et de médecine générale – a publiquement recommandé de ne pas généraliser les tests de l'APS. Plusieurs tests aléatoires correctement effectués à long terme sur des êtres humains ont conclu à la quasi-absence d’une meilleure chance de survie pour les individus ayant été dépistés, diagnostiqués et soumis à un traitement, par rapport aux individus n’ayant jamais été dépistés.
L’une des études citées par l'USPSTF, une étude conduite en Europe, a révélé un léger avantage dans un sous-ensemble d'hommes, sans qu'aucune amélioration significative de la qualité de vie n'ait été observée. Une autre étude, menée aux États-Unis, n'est pas parvenue à prouver que le dépistage APS améliorerait les taux de survie en cas de cancer de la prostate. En outre, une étude récente, comparant les résultats observés chez des patients dont la prostate avait été chirurgicalement ablatée aux résultats constatés chez des patients seulement placés en observation, n’a conclu à aucune différence dans les taux de survie présentés par ces deux groupes.
Dans la mesure où l'âge moyen au moment du diagnostic se situe à 71-73 ans, les hommes sont susceptibles de décéder d'autres causes avant que le cancer de la prostate ne vienne leur enlever la vie. Et il n'existe aucune preuve crédible démontrant que le cancer de la prostate de stade inférieur progresserait de manière uniforme vers des cancers de stades plus avancés, la question du traitement précoce n'étant par conséquent ici pas essentielle.
En outre, le traitement du cancer s’accompagne souvent de sévères effets secondaires – parmi lesquels une incontinence urinaire, une dysfonction érectile, et, chez ceux qui subissent une radiothérapie, une inflammation de la partie inférieure du rectum ou de la vessie, ainsi que des effets non-déclarés tels que l'incontinence fécale – qui peuvent nuire à la qualité de vie des patients. Dans la mesure où de nombreux patients diagnostiqués comme atteints du cancer de la prostate à la suite du test de l'APS ne souffriraient jamais d’aucun symptôme, de telles conséquences sont difficiles à justifier.
Beaucoup se refusent pourtant à abandonner le dépistage. Ceci dit, un programme de surveillance actif pourrait constituer le meilleur moyen d'aborder les conséquences plus graves d'un dépistage excessif, traitement à la fois prématuré et trop agressif.
En cas de programme de surveillance active, le patient diagnostiqué par biopsie à la suite du test de l’APS repousse le traitement. Au lieu de cela, ce patient est étroitement surveillé au travers de divers tests de suivi. Ce n’est que lorsqu’un certain nombre de signes indique que le cancer devient dangereux que débute le traitement. Bien que cette approche ne soit encore qu’à l’étude, les résultats observés jusqu’à présent semblent prometteurs : les hommes inscrits à des programmes de surveillance active sont 14 fois plus susceptibles de décéder d’une cause étrangère au cancer de la prostate.
Un certain nombre de preuves à l’appui faisant de plus en plus pencher la balance en défaveur de la généralisation du test de l’APS, il est urgent de mettre en place un nouveau test de dépistage ou biomarqueur capable de faire la distinction de manière efficace entre les cancers de la prostate potentiellement mortels et les formes moins dangereuses de cancer de la prostate. De même, il est impératif de procéder à des traitements moins risqués.
Les programmes de surveillance active constituent une perspective encourageante dans la minimisation des conséquences malheureuses du test de l’APS. Néanmoins, à défaut d’une amélioration considérable des pratiques de dépistage, le dépistage du cancer de la prostate pourrait bien ne présenter qu’une piètre utilité, voire entraîner de sérieux dommages.
Marc B. Garnick
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Marc B. Garnick est professeur clinicien de médecine au Beth Israel Deaconess Medical Center de l’école de médecine d’Harvard.
©Project Syndicate, 2012.
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