Les pays riches sont-ils devenus pauvres en eau ? Non, rassurez-vous, c’est juste le titre d’un rapport publié en 2006 par le WWF (Rich Countries, Poor Water). Mais pas de quoi se réjouir non plus! Certes l’eau coule à flots dans une très grande majorité des foyers des pays développés, mais les vagues de sécheresse qui sévissent depuis une dizaine d’années en Europe changent peu à peu la donne. Entre 1976 et 2006, le nombre de régions et de populations touchées par la sécheresse ont augmenté d'environ 20% selon la Commission des Communautés Européennes.
[À ce jour], au moins 11% de la population européenne et 17% du territoire de l'Union Européenne ont connu un problème de rareté de la ressource en eau.
Et si la tendance actuelle se confirmait, 35% de la population européenne se retrouveraient en situation de stress hydrique à l’horizon 2070.
La sécheresse n’est d’ailleurs pas l’unique manifestation du changement climatique. La fonte des neiges de plus en plus précoce et la multiplication des pluies se traduisant par une augmentation du débit des cours d’eau en hiver, et de leur réduction en été, accentuent les craintes de pénurie d’eau.
La surexploitation
Et ce n’est que le début. La raréfaction de l’eau s’intensifiera ces prochaines années prévoit la Commission des Communautés Européennes; mais pas uniquement à cause du changement climatique. Malaga – et ses complexes hôteliers – est une parfaite illustration des préjudices causés par le tourisme de masse en Espagne. Station balnéaire oblige, il en faut de l’eau pour satisfaire les Britanniques et les Néerlandais en quête de soleil et de sable chaud. Le verdict, lui, semble sans appel : la nappe phréatique s’appauvrit. En 2003, déjà plus de la moitié des 100 aquifères espagnols étaient surexploités, révèle un rapport du Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE). On pourrait ajouter, pour l’anecdote, qu’à Grenade, le touriste moyen utilise sept fois plus d'eau douce qu'un résident local. À Majorque, le touriste moyen consomme 440 litres par jour, et le touriste de luxe 880 litres. (PNUE 2004, Plan Bleu 2004, Tourism Concern). Faut-il y être indifférent ? Pas vraiment car sans grande surprise ce sont les populations locales qui sont les premières à en pâtir.
Autres contrées, autres raisons, même constat du WWF : aux États-Unis, les risques de pénurie s’intensifient à cause de la surexploitation du secteur agricole. Depuis plusieurs années, c’est à coup de pompes à eau et de systèmes d’irrigation sophistiqués que les fermiers américains se sont maintenus en tête des producteurs agricoles du monde. Inévitablement, l’agriculture intensive cristallisée par le fameux concept du Food Power a un impact sur la qualité des eaux de surface et des nappes phréatiques. La situation est d’autant moins durable que dans certaines régions américaines, l’irrigation agricole est supérieure au taux de recharge des nappes souterraines. Or, cela fait déjà presque dix ans que dans le Midwest, près d'un cinquième des réserves d'eau de l’aquifère Ogalla a été consommé.
Pourtant, en début d’année, le département américain dédié à l’agriculture annonçait que les revenus agricoles génèreraient 94,7 milliards de dollars en 2011; soit une révision de 20% à la hausse par rapport aux prévisions du gouvernement américain. Et pour cause : avec l’essor des biocarburants, la croissance démographique, le développement économique des pays émergents et le changement des habitudes alimentaires, il y a fort à parier que la consommation boulimique des agriculteurs n’est pas prête de s’arrêter. À ce propos, les prévisions de l’OCDE indiquent que la production agricole devra augmenter de 50% d’ici 2030.
La demande en eau agricole va poursuivre sa progression, particulièrement dans des pays comme l’Australie, le Mexique, l’Espagne et les États-Unis, où l’essentiel de la production agricole provient déjà des cultures irriguées.
Agriculture et pollution
Au-delà de l’épuisement des nappes phréatiques, il faut souligner que la sur-exploitation agricole accélère la pollution des eaux douces. « Plus d’un cinquième des sites de contrôle des nappes souterraines dans les zones agricoles du Danemark, des Pays-Bas et des États-Unis indiquent des taux de nitrate trop élevés pour l’eau potable » soulève un article publié dans l’Observateur de l’OCDE. Le problème est que ces nappes d’eau fournissent la majeure partie des approvisionnements destinés à la consommation humaine et animale. L’autre problème comme l’indique l’agence britannique de l’environnement est que la pollution coûte très cher : environ 345 millions d’euros par an aux Anglais; et 300 millions de dollars par an aux Canadiens pour pallier les problèmes de santé qu’elle provoque. Pour l’essentiel : surexploiter, polluer et soigner par la suite, c’est un peu déshabiller Paul pour habiller Pierre!