Selon une récente enquête de l’université de Buenos Aires, il existe aujourd’hui dans le pays plus de 200 entreprises récupérées par leurs travailleurs et autogérées. Loin de s’essouffler, …
Les entreprises autogérées prouvent leur solidité et leur solidarité
Selon une récente enquête de l’université de Buenos Aires, il existe aujourd’hui dans le pays plus de 200 entreprises récupérées par leurs travailleurs et autogérées. Loin de s’essouffler, le mouvement progresse peu à peu.
Après 10 ans d’existence, ce qui apparaissait comme un phénomène transitoire consécutif à la profonde crise économique affrontée par l’Argentine au début du siècle a fini par s’imposer comme un modèle durable de maintien et de création d’emplois. Alors qu’on comptait 161 entreprises et 6 900 travailleurs au plus fort de la crise en 2004, elles sont aujourd’hui 205 et emploient 9 362 personnes. Cette enquête réalisée bénévolement par des étudiants de la Faculté de Philosophie et de Lettres de l’Université de Buenos Aires (UBA) révèle également une propagation du mouvement vers l’intérieur du pays. Alors que 80% des entreprises récupérées se concentraient dans la capitale argentine ou sa banlieue en 2002, elles ne sont plus que 50% aujourd’hui.
Pour Andrés Ruggeri, directeur du programme, ces résultats montrent que lorsqu’une entreprise ferme, les travailleurs argentins préfèrent désormais se tourner vers ce modèle plutôt que de se résigner à perdre leur travail. Toutefois, de nombreux problèmes restent en suspens.
Apparemment persuadé du caractère éphémère de ce phénomène, l’État n’a pas su mettre en place une politique publique cohérente qui permette le développement à long terme des entreprises autogérées. Les deux derniers gouvernements se sont contentés de distribuer des subventions de manière ponctuelle, mais les entreprises récupérées n’ont toujours pas accès au crédit et ne peuvent pas non plus bénéficier des mesures de soutien destinées aux PME. Difficile dans ces conditions de pouvoir investir afin de gagner en compétitivité ou simplement d’acheter les matières premières nécessaires à la production. Andrés Ruggeri regrette que l’État valorise si peu ces initiatives qui permettent pourtant de créer des emplois durables alors que l’on assiste à une précarisation croissante du travail.
La première vague de récupérations a eu lieu après la crise, lorsque des chefs d’entreprise disparaissaient du jour au lendemain, laissant derrière eux des mois de salaires impayés et des usines vidées illégalement de leurs machines. Aujourd’hui, la création de nouvelles entreprises autogérées est souvent la conséquence d’une faillite ou d’un plan de restructuration. La plupart du temps, les travailleurs forment des coopératives et décident de leur futur et de celui de l’activité en assemblées. Ils bénéficient à la fois du soutien d’autres entreprises récupérées et de celui de l’État.
Initialement confiné à l’industrie, notamment à la métallurgie, le mouvement s’est peu à peu étendu et concerne aujourd’hui une multitude de secteurs qui vont du textile à l’alimentaire, en passant par les transports, la gastronomie ou la santé. Parmi les entreprises récupérées, on trouve même un hôtel cinq étoiles !
Ces nouvelles structures se distinguent également des entreprises conventionnelles par les relations solidaires qu’elles entretiennent avec la communauté où elles sont implantées : 35% d’entre elles hébergent des événements culturels ou des activités éducatives, 30% effectuent des dons et 24% collaborent avec des associations de quartiers.
Andrés Ruggeri signale que
c’est la première fois dans l’histoire des travailleurs qu’autant d’entreprises aussi diverses se développent en autogestion sous un système capitaliste et réussissent à fonctionner aussi longtemps. […] En Mai 68, lorsque le concept d’autogestion s’est popularisé en France, l’expérience n’avait pas duré plus d’un mois.