Face aux enjeux du changement climatique et au besoin de poursuivre l’industrialisation de l’Afrique, le développement de l’économie verte s’impose comme un levier clé sur le continent. Certains pays l’ont bien compris, à l’image de la Côte d’Ivoire, qui s’est tournée vers l’économie verte depuis quelques temps déjà, tout en réussissant le tour de force de conserver une croissance annuelle à presque deux chiffres.
L’Afrique est un continent riche en ressources naturelles. Selon la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), 54 % des réserves mondiales de platine s’y trouvent, 78 % de celles de diamants, 40 % de chrome, 28 % de manganèse, 70% des gisements de coltan – minerai indispensable à la production des puces électroniques. On estime que l’Afrique possède environ 30% des ressources naturelles de la planète, auxquelles il faut ajouter un ensoleillement hors norme. Contrairement à nombre de pays industrialisés, qui s’appuient (pour l’instant) sur une certaine avance technologique, les atouts principaux des pays de ce continent se trouvent dans son sol, sa flore, ses écosystèmes. Une richesse à double tranchant. L’impact de leur exploitation affecte largement le potentiel de développement et la durabilité du modèle économique africain. C’est pourquoi il devient urgent de proposer une alternative aux industries extractives et à la mentalité de rente qui pénalise encore les 54 États du continent.
D’autant que jusqu’à présent, cette mentalité ne contribuait même pas réellement à l’essor de la région. Les ressources naturelles africaines servaient largement au « développement capitalistique de l’Europe », comme l’explique le professeur Walter Rodney dans son ouvrage Et l’Europe sous-développa l’Afrique : Analyse historique et politique du sous-développement. Les ressources naturelles étant le combustible de l’industrialisation, les pays européens, dépendants du contenu des sols africains, en on fait une exploitation souvent gloutonne tout autant que dévastatrice sur le plan de l’environnement. Aujourd’hui, c’est à l’Afrique d’entamer à son tour sa révolution industrielle (celle qui lui permettra de produire directement des biens à valeur ajoutée sur son sol, plutôt que de brader des matières premières ensuite transformées à l’étranger), et la tentation de continuer une exploitation débridée est bien présente. Après tout, pourquoi s’infliger des contraintes de durabilité, souvent lourdes, alors que les prédécesseurs de l’Afrique sur le chemin de l’industrialisation en ont fait l’économie, gagnant ainsi beaucoup de temps ?
Pourquoi ? Parce que la problématique de la pérennité des ressources se pose aujourd’hui avec plus de force que jamais. Elle est devenue incontournable. Le choix de l’économie verte n’en est plus vraiment un - même s’il continue d’être exclu par un certain nombre d’Etats. Cette économie, conçue pour entrainer un accroissement des revenus et des emplois tout en réduisant les risques et dommages environnementaux et sociaux, est la ligne que s’est efforcée de suivre la Côte d’Ivoire depuis un certain nombre d’années. Le gouvernement ivoirien, par le biais de son ministère de l'Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable (MINESUDD), a notamment décidé d’une fiscalité avantageuse pour les projets « verts » et d’une aide aux investissements privés. Il n’en fallait pas davantage pour que soit donnée l'impulsion d'une transition vers une économie soucieuse de son impact sur son environnement.
A l’origine de cette dynamique se distinguent un certain nombre d’acteurs particulièrement investis, parmi lesquels l’ancien Premier ministre et actuel président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro. Ce dernier donnait déjà le ton en 2011 : « Je souhaite la mise en œuvre rapide de cette stratégie de développement durable et je lance un appel pressant à tout le gouvernement pour s’approprier ce processus décisionnel afin de s’assurer des avancées notables du développement durable en Côte d’Ivoire. » En septembre dernier, à quelques semaines de la Cop21, Guillaume Soro réaffirmait cet engagement, avançant que « la question de l’écologie [restait] une préoccupation majeure ».
Economie verte et fertile en emplois
On l’a vu, pour une croissance pérenne, ce choix est nécessaire. Nécessaire et pas forcément handicapant pour le pays, pour qui le développement, s’il est durable, n’en est pas moins fulgurant. Selon Nassim Oulmane, Directeur intérimaire du bureau de la Commission économique (CEA) pour l’Afrique du Nord, l’année 2015 a été marquée par un déclin de la croissance du PIB mondial, passée de 2.6% (en 2014) à 2.4%. Dans un contexte aussi difficile, largement dû à la baisse des cours des matières premières, la Côte d’Ivoire devrait quant à elle maintenir sa croissance à un niveau remarquable : ayant atteint 8,4 % en 2015, elle devrait se fixer à 8,5 % en 2016, selon la Banque mondiale, qui note : « l’activité économique continue de progresser à un rythme soutenu ; tous les secteurs ont profité d’une demande globale vigoureuse et d’une poussée de l’investissement autant privé que public. »
Là où l’extraction de ressources porte le risque du jobless growth (une croissance sans effet bénéfique pour l’emploi), de fait, les activités vertes créent de nouveaux marchés et permettent la création d’emplois. Une composante cruciale en Côte d’Ivoire, où la population est très jeune (la moyenne d’âge y est de 21 ans), et encore largement frappée par le chômage et le sous-emploi. Un enjeu qu’a bien compris le gouvernement, à l’origine de la conférence « L’économie verte : un gisement de métiers et d’emplois pour les étudiants » qui s’est tenue il y a un an à l’université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan. Le directeur de l’Economie verte et de la Responsabilité sociétale et le directeur général du Développement durable auprès du ministère de l’Environnement y ont cité nombre d’exemples de filières d’avenir, tels que la « criminologie verte » pour traquer les déverseurs de déchets, la « sociologie verte » ou encore le « tourisme vert » pour montrer l’importance de la sauvegarde du couvert forestier.
Les ressources naturelles africaines sont « une bénédiction et non une malédiction » relevait en 2014 le Secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, M. Carlos Lopes. La croissance verte de pays comme la Côte d’Ivoire semble lui donner raison.