La recrudescence de la pauvreté dans les pays avancés
Le thème des inégalités connaît un regain d'intérêt depuis quelques années avec le constat de leurs augmentations depuis les années quatre-vingt dans la plupart des pays développés. Même la France, l’Allemagne ou la Suède, pays historiquement reconnus pour leurs politiques sociales, sont touchés par l’ampleur de ce phénomène.
En Amérique du Nord, une étude co-publiée par l'Institut de recherche et d'informations socio-économiques (IRIS) et le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) sur les inégalités entre les familles québécoises révèle que l’écart entre les revenus des riches et ceux des autres Québécois n’a pas cessé de croître entre 1976 et 2006. Même son de cloche aux États-Unis où en 2009, pour la première fois en 51 ans, le taux de pauvreté a atteint 14,3%.
Olivia Verger-Lisicki, Responsable Programme BoP de l’IMS-Entreprendre pour la Cité ne cache pas que le sujet fait aujourd’hui débat.
Il est vrai qu’on a tendance, lorsqu’on parle de pauvreté, à mettre l’accent sur des situations extrêmes, et notamment celles des pays en développement, où il y a une urgence incontestable à agir. Seulement, il ne faut pas oublier que la pauvreté nous touche de très près aussi et que cela concerne des franges de populations de plus en plus larges.
Ces enjeux forts doivent amener à repenser les modèles vis à vis des populations fragiles dans nos pays occidentaux. Avec en tête les nécessaires adaptations au contexte 'Nord' comme identifier les 'cibles' de populations pauvres, moins visibles ; éviter la stigmatisation; et agir en complémentarité avec les dispositifs existants, notamment publics.
Les pays occidentaux adoptent des services de microfinance
Le premier problème que rencontrent de nombreux ménages européens ou américains en situation de précarité est le non-accès au crédit. C’est en regardant ce qui se passe en Inde, que Ségolène Royal, Présidente de la région Poitou-Charente, a décidé de mettre en place en 2008 dans la région le microcrédit régional ouvert à toutes les personnes rencontrant des difficultés d’accès au crédit quelque soit leur statut ou leur âge.
Le microcrédit existe cependant depuis plus de 20 ans en France. Suite à une rencontre avec Muhammad Yunus, Maria Nowak, une économiste fortement impliquée dans les projets de développement des pays pauvres décide d’appliquer à la France les méthodes mises en œuvre au Bangladesh au sein de la Grameen Bank. C’est ainsi que l’Adie (Association pour le droit à l’initiative économique) voit le jour en 1989.
Malgré tout, le microcrédit sera longtemps associé aux pays du Sud. C’est véritablement depuis une dizaine d’années que la microfinance joue un rôle dans l’ensemble de l’Europe Occidentale; démontrant la volonté des pays membres de l’Union Européenne de soutenir les plus démunis dans leur réinsertion économique et sociale.
Pour récompenser la meilleure expérience de microfinance réalisée en Europe, la Fondation Giordano Dell’Amore et le Réseau Européen de la Microfinance (REM) organise en 2011 La Troisième Edition du Giordano Dell’Amore Microfinance Good Practices “Europe Award”. Une prime de 50.000 euros sera versée au gagnant. Dans la même veine, lors de la 8ème Conférence Annuelle du REM, qui se tiendra les 9 et 10 juin 2011 à Amsterdam, le REM et la Fondation Nantik Lum lanceront le Prix de la Recherche du Microcrédit Européen.
Les Européens ne sont cependant pas les seuls à se pencher sur cette question. Jugeant que la microfinance n’était pas l’apanage des pays moins avancés, L’Opportunity Fund dont la mission est d’aider les entrepreneurs à développer leur business, s’est associé en juin 2009 avec Kiva.org, le premier site de microcrédit reliant prêteurs et demandeurs du monde entier. Après avoir annoncé sur son site son intention d’étendre son action au territoire de l’Oncle Sam, Kiva a dû convaincre les 45% des habitués du site qui étaient contre cette expansion.
Toujours dans une perspective de soutenir les créateurs d’entreprise en situation de précarité, la Macif et AXA France se sont associées en 2007 pour lancer une offre de micro-assurance en partenariat avec l’Adie afin de répondre aux besoins des micro-entrepreneurs soutenus par l’association.
Des produits adaptés aux clients pauvres
Outre les services financiers, d’autres types de services et de produits sont dorénavant à la disposition des personnes en situation précaire. Suite à la demande de François Fillon de mettre en place des tarifs sociaux dans le mobile et l’ADSL, le PDG de Numericable Pierre Danon a annoncé dans un entretien au Figaro le lancement d’une offre 'triple play' (internet, téléphone, TNT). Cette offre donnera droit aux bénéficiaires du RSA ou de l’allocation adulte handicapée à un accès Internet qui ne coûtera que 9,99 euros par mois.
Cette avancée sociale a de quoi réjouir. Olivia Verger-Lisicki nous signale cependant que
de nombreuses démarches orientées Clients dans ce cadre existent; mais elles n’ont jusqu’ici pas été valorisées sous l’angle BoP/social business.
C’est par exemple le cas de GDF Suez qui se rend dans les quartiers sensibles avec des médiateurs sociaux afin de conseiller les clients en situation de précarité sur leurs dépenses.
Néanmoins, il ne faut pas tomber dans l’opposition rapide Sud/Nord s’empresse de rajouter Olivia Verger-Lisicki.
Aujourd’hui, ce qui est nouveau et riche de promesses, c’est que le Sud inspire le Nord. L’intérêt des entreprises est croissant pour les pratiques remarquablement innovantes développées au Sud, où ont été inventées de nouvelles façons d’entreprendre face à une pauvreté endémique.
Reste que la saturation des marchés occidentaux désigne 'les 4 milliards d’oubliés' comme le nouvel Eldorado des grandes entreprises. L’économiste Milton Friedman se serait-il trompé lorsqu’il proclama que la 'responsabilité sociale des entreprises, c’est d’augmenter leurs profits?' Assurément, pour Stuart Hard, selon qui
à plusieurs niveaux les entreprises n’auront le choix que d’adopter ce modèle, car sur le long terme la croissance économique devrait se faire grâce aux clients à faible revenu.
L’entreprise du XXIème siècle sera inclusive ou ne sera pas ? L’avenir nous le dira.
Sonia Eyaan