En France, les usines ferment les unes après les autres. Dans les pays les moins avancés, les entreprises solidaires poussent comme des champignons. Dans le cadre du World Forum de Lille, nous sommes allés à la rencontre de trois entrepreneurs engagés pour qui le profit se conjugue avec l’innovation sociétale et la transmission de savoir.
Le boum de l’entreprenariat solidaire dans les pays en développement
En France, les usines ferment les unes après les autres. Dans les pays les moins avancés, les entreprises solidaires poussent comme des champignons. Dans le cadre du World Forum de Lille, nous sommes allés à la rencontre de trois entrepreneurs engagés pour qui le profit se conjugue avec l’innovation sociétale et la transmission de savoir.
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Genesis Telecare : «la misère n’a pas de frontière, la médecine non plus»
Je ne suis pas allé en Afrique pour m’enrichir, mais pour créer de la richesse sociale et solidaire.
C’est ainsi que Jacques Bonjawo, fondateur de Genesis Telecare en 2009, entreprise pionnière en télémédecine au Cameroun visant à rendre les soins médicaux plus accessibles aux populations à faible revenu, nous livre la genèse de son projet. En s’inspirant de modèles indiens, l’ancien manager de Microsoft, s’appuie sur une équipe de médecins généralistes et spécialistes, infirmières, ingénieurs et techniciens qualifiés en technologies de pointe. L’objectif est de répondre au besoin de santé de 70% de la population vivant dans les campagnes, en leur proposant des tarifs sensiblement inférieurs à ceux du marché. «Les consultations courantes ou l’électrocardiogramme sont deux à trois fois moins chers que les tarifs couramment pratiqués». A ce jour, plus de 11 000 patients ont bénéficié de soins de qualité. Et Jacques Bonjawo réinvestit « une grande partie des profits dans l’achat de matériel robuste et innovant». Certains instruments sont en cours développement pour fonctionner à l’énergie solaire. Pour autant, si certains médecins sont bénévoles, Genesis Telecare rémunère correctement ses praticiens. La plupart installés à Yaoundé, Paris, Genève, ou en Inde.
Pour lancer ce pari audacieux, l’informaticien a investi 760 000 euros de sa poche et obtenu le soutien de plusieurs partenaires dont le groupe agroalimentaire Somdiaa et l’opérateur MTN. En 2011, l’informaticien est honoré par le prix TIGA (les Nations Unis récompense l’utilisation innovante de la technologique au service des populations). Le mois dernier, le ministre de l'Économie, du Plan et de l'Aménagement du territoire et l'entreprise du Cameroun remet à Jacques Bonjawo une enveloppe de 200 millions de francs cfa pour déployer la télémédecine. Aujourd’hui le Cameroun, demain l’Afrique ? Des centres de télémédecine sont en cours de création au Gabon, au Tchad et en République Démocratique du Congo. Jacques Bonjawo rappelle à juste titre que «la misère n’a pas de frontière, la médecine non plus !»
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Xanhshop : manger plus pour vivre mieux
Le Vietnam vit une situation paradoxale. Le pays importe l’essentiel de sa nourriture, alors qu’il est le deuxième exportateur mondial de riz. Résultat : « sur les 87 millions de Vietnamiens, 69% demeurent en campagne, et un peu moins d’un quart d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté.» Sensible aux difficultés auxquelles fait face la population, Madame Mai Hang, quitte la société Décathlon Vietnam, pour laquelle elle travaille, en 2008 pour lancer Xanhshop.
Xanhshop est une plateforme de distribution de produits socio-éco responsables. Le but est d’«offrir aux Vietnamiens des aliments sains à bas prix, cultivés par des producteurs locaux qui respectent l’environnement.» Le premier aliment lancé par l’entreprise en 2010 est le « Dragon rice ». Une variété de riz ancestrale, particulièrement robuste, qui pousse même sur des sols pauvres en azote. L’autre espèce, en phase de fabrication pour un lancement en 2012, est le « Duck rice ». Une variété naturellement protégée contre les parasites grâce à la présence de canards dans les rizières.
Passer de cadre chez Décathlon à entrepreneur solidaire relève néanmoins du parcours du combattant. «Le business model n’est pas évident à mettre en place et après 3 années de pilotage, les partenaires financiers et techniques ne sont pas toujours au rendez-vous.» Reste que madame Hang peut d’ores et déjà se réjouir : «la demande dépasse largement l’offre pour les deux produits disponibles sur le site.» A noter que
ce marché nouveau et exclusivement local fonctionne sur des mécanismes désormais bien rodés. Le salaire des cultivateurs augmente et l’usage de produits chimiques agricole est limité.
Plus d’info : www.xanhshop.com
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Bioessence : le savoir-faire ancestral vaut de l’or
« Dans de nombreux pays d’Afrique noire et du Maghreb, la transmission des secrets de beauté et de la médecine traditionnelle par initiation orale est aujourd’hui menacée de disparition », nous informe Mame Khary Diene, fondatrice des laboratoires Bioessence. Le paradoxe est qu’ «aujourd’hui, la valorisation de produits issus de la biodiversité africaine correspond à une forte demande internationale. Mais bien souvent, les communautés locales vendent, pour des sommes dérisoires, de l’huile de baobab ou du beurre de karité à des compagnies américaines ou européennes. Celles-ci prétextant que les produits ne sont pas commercialisables en l’état.»
Consciente que les savoir-faire ancestraux transmis de mère en fille sont une richesse, Mame Khary Diene quitte la France et crée en 2005 les laboratoires Bioessence au Sénégal. L’objectif est de promouvoir la cosmétologie africaine par la valorisation de sa flore, en alliant savoir-faire ancestral, expertise et technologie. Le résultat est sans appel : les femmes organisées en coopératives économiques ont multiplié par 4,5 leur revenu. Elles peuvent ainsi envoyer leurs enfants à l’école et payer les soins de santé familiaux. Mais pour vendre à l’international, l’ancienne consultante de Cap Gemini utilise des arguments rationnels : « ce n’est pas parce que c’est magique que le produit agit, mais parce qu’il est doté de principes scientifiques.» Le but n’étant pas de dénigrer les coutumes locales, mais de
donner aux 716 femmes de la filière Baobab et 320 femmes de la filière Karité le pouvoir de monnayer leur savoir-faire à sa juste valeur.
Plus d’info : www.laboratoires-bioessence.com
Sonia Eyaan