Duncan Graham-Rowe, collaborateur à The Economist et The Guardian en Grande-Bretagne, se demande si les immeubles de grande hauteur ne seraient pas la solution pour l’alimentation de demain.
L’agriculture verticale, l’avenir de l’alimentation urbaine?
Duncan Graham-Rowe, collaborateur à The Economist et The Guardian en Grande-Bretagne, se demande si les immeubles de grande hauteur ne seraient pas la solution pour l’alimentation de demain.
Légende ou réalité, les jardins suspendus de Babylone sont sur le point de revoir le jour dans nos villes. C’est en tout cas de cette manière que Dan Caiger-Smith décrit l’agriculture dite 'verticale'. Son entreprise, Valcent, a repris le concept au XXIe siècle en inaugurant la première ferme de ce type dans le parc de Paignton Zoo dans le Devon, en Angleterre.
L’idée est simple : utiliser au maximum les petits espaces en remplissant des serres de parterres de plantes empilés les uns sur les autres. En effet, l’agriculture moderne se décline désormais à la verticale en raison des pressions financières et écologiques. Alors que la population mondiale pourrait dépasser les 9 milliards d’habitants d’ici à 2050, la lutte pour les terres cultivables va s’accentuer. Quatre cinquièmes de la population vivront dans des zones urbaines à forte densité et les produits régionaux seront appréciés pour leur faible émission de gaz à effet de serre et leur utilisation pauvre en eau.
On se tourne donc aujourd’hui vers un système qui pourrait multiplier par 20 la productivité des espaces agricoles actuels, mais également gaspiller moins d’eau, limiter les kilométrages et les coûts énergétiques et respecter les normes alimentaires.
Le système de Valcent nécessite à peu près la même quantité d’énergie qu’un ordinateur allumé pendant dix heures par jour. Cela suffit pour produire un demi-million de salades par an. L’entreprise affirme également qu’une même culture dans une ferme traditionnelle exige sept fois plus d’énergie.
La ferme de 100 m² de Paignton Zoo cultive des légumes-feuilles pour l’alimentation animale. Elle utilise la culture hydroponique qui consiste à cultiver des plantes dans des solutions riches en éléments nutritifs plutôt que dans de la terre. Les cultures étant empilées dans des plateaux sur huit couches, le système les fait sans cesse pivoter de sorte à les exposer suffisamment à l’air et à la lumière du soleil. Mais également, les nutriments qui n’ont pas été directement prélevés par les plantes peuvent être recueillis et redistribués, tout comme l’eau, afin de limiter le gaspillage.
Reste maintenant à calquer ce système pour la production d’aliments pour les Hommes.
Quels seraient alors les avantages d’une ferme verticale ?
Déjà, cela permettrait de se débarrasser des tracteurs et autres équipements fonctionnant au carburant. Les distances entre le site de production, le revendeur et le consommateur diminueraient également.
Comme l’affirme Jeanette Longfield, coordinatrice du groupe d’alimentation et d’agriculture à but non lucratif Sustain :
Aujourd’hui, l’agriculture intensive dépend totalement des combustibles fossiles, que l’on parle de fertilisants à base de nitrogène ou d'équipements mécaniques, de transport et de réfrigération. C’est la raison pour laquelle l’agriculture urbaine est vraiment très intéressante.
Mais surtout, Longfield en voit l’intérêt pour 'les produits périssables qui voyagent mal'.
Cependant, les entreprises sont encore frileuses à l’idée d’investir dans le projet.
Il faut posséder un portefeuille important pour construire un immeuble de grande hauteur
, déclare Natalie Jeremijenko, ingérieure en aérospatiale et professeure de santé environnementale à l’Université de New York. Elle craint que les revenus engendrés par les cultures verticales ne suffisent à compenser le prix du loyer. Elle a donc eu deux idées pour résoudre le problème : une petite nacelle hydroponique courbée pour maximiser l’exposition à la lumière du soleil ; et une ferme verticale installée autour d’une issue de secours sur un immeuble occupé.
Sustain a par ailleurs lancé le programme Capital Growth qui vise à créer 2 012 nouvelles parcelles de culture alimentaire à Londres avant les Jeux Olympiques de cette année-là. Et ces parcelles fleurissent un peu partout : cours d’école, rives d’un canal ou encore terrasses sur les toits.
Mais pourquoi s’arrêter là ? Dickson Despommier de la Columbia University, auteur de The Vertical Farm: The World Grows Up, estime qu’il est possible de hisser l’agriculture verticale vers de nouveaux sommets (littéralement!). Il souhaite créer un nouveau genre de grattes-ciel dans le paysage urbain de la Grosse Pomme : d’immenses immeubles à plusieurs étages dédiés à l’agriculture verticale. Selon Despommier, un seul immeuble de 30 étages pourrait nourrir 10 000 personnes.
Et il n’est pas le seul à voir les choses en grand. L’architecte belge Vincent Callebaut a dessiné les plans d’une gigantesque tour, à New York également, sur Roosevelt Island. Le projet de Callebaut, intitulé Dragonfly (Libellule), consiste à créer des bâtiments aux intérieurs luxuriants et fertiles fonctionnant sous forme d’écosystèmes autonomes et durables afin de produire de la nourriture pour ses habitants.
Heureusement, certains projets ne restent pas qu’à l’état de concept et se concrétisent. C’est le cas par exemple de l’idée de Will Allen, à Milwaukee aux États-Unis, qui a mis en place un système d’aquaculture qu’il a appelé Growing Power. Ce système de culture symbiotique repose sur la faune aquatique, telle que les tilapias et les perchaudes qui redistribuent les nutriments. Les déchets produits par les poissons fertilisent les plantes tandis que les résidus végétaux et les vers des jardins nourrissent les poissons. Les légumes et les poissons sont vendus aux entreprises de la région à un prix fixe, ce qui permet aux résidents d’acheter leurs denrées directement auprès de la ferme à un prix moindre.
Alors, si les aliments issus de l’agriculture verticale s’avèrent moins chers à produire et à consommer, qui viendrait s’en plaindre? Et dans les années à venir, les 'produits régionaux' pourraient vraiment venir de la rue d’à côté.