Gilles Van Cutsem est un médecin belge qui travaille avec Médecins sans frontières depuis 1998. Coordinateur médical en Afrique du Sud, il s’entretient avec Green et Vert au sujet du sida, à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre la maladie ce 1er décembre.
"La vraie urgence, c’est le sida"
Gilles Van Cutsem est un médecin belge qui travaille avec Médecins sans frontières (MSF) depuis 1998. Après la famine au Soudan, la guerre civile en Angola et les centres de santé des régions rurales du Mozambique, il est désormais coordinateur médical en Afrique du Sud. Pourtant ni famine, ni guerre civile, ni volcan dans ce pays…
Green et Vert : Comment est-ce que Médecins sans frontières (MSF) est organisé en Afrique du Sud?
Gilles Van Cutsem : MSF OCB (Centre opérationnel de Bruxelles) est en Afrique du Sud depuis 1999. L’organisation a ouvert le premier centre de traitement antirétroviral pour les personnes vivant avec le VIH dans le bidonville de Khayelitsha (Le Cap) ainsi qu’un centre pour les victimes de viol. Depuis, le projet a essaimé et désormais, il y a 4 projets dans le pays et un au Lesotho, soutenus par le bureau de coordination au Cap. En 2006, MSF Afrique du Sud est créé. Ce bureau se situe à Johannesburg et est indépendant des autres projets MSF dans le pays.
G&V : Pour la plupart des gens, qui dit MSF dit médecine humanitaire d’urgence. Quelle est l’urgence en Afrique du Sud?
G.V.C. : La vraie urgence, c’est le sida. Il y a 34 millions de gens contaminés dans le monde, 2 millions de morts par an. C’est en Afrique du Sud que vivent le plus de personnes infectées. MSF a choisi de s’investir à long terme dans toute l’Afrique australe (Malawi, Zimbabwe…) car l’épidémie y est la plus importante. Dans certaines régions, un tiers des adultes sont touchés et jusqu’à 50% des femmes entre 30 et 40 ans sont séropositives. Les taux de tuberculose (TB) et de tuberculose multi-résistante y sont parmi les plus élevés au monde, et cette maladie reste la première cause de mortalité parmi les séropositifs.
Le Lesotho est le seul endroit au monde où la population a diminué à cause du sida.
G&V : Tous les projets de MSF en Afrique du Sud se concentrent-ils donc sur le sida?
G.V.C. : Pas seulement, non. Le projet le plus emblématique est au Cap, dans le bidonville de Khayelitsha. En 1999, à l'arrivée de MSF, personne en Afrique n’était sous traitement antirétroviral (ARV). On a donné des ARV à des milliers de personnes, et organisé leur suivi à long-terme dans les centres de santé. C’est le plus ancien programme d’Afrique, alors il nous permet d’anticiper les problèmes qui vont émerger dans d’autres programmes, comme par exemple, l’émergence de résistances aux antirétroviraux. Aujourd’hui, il faut aussi traiter les personnes atteintesde tuberculose multi-résistante.
À Musina, à la frontière du Zimbabwe, MSF tente d’améliorer l’accès aux soins des Zimbabwéens. Des milliers d’entre eux fuient la violence politique de leur pays, pour un salaire de misère dans de grandes plantations ou pour tenter leur chance dans les grandes villes d’Afrique du sud. Le voyage est périlleux, et nombreux sont ceux qui se font violer, dévaliser ou arrêter en cours de route. Difficile dans ces conditions d’être soigné. Nous avons créé un système de cliniques mobiles et nous travaillons avec le ministère de la Santé pour qu’il reprenne notre structure.
À Johannesburg, nous nous occupons d’une population très vulnérable : des sans-papiers généralement étrangers qui vivent par milliers dans des conditions abominables, dans des squats (cf. Urban Survivors) en plein centre-ville. Nous avons mis en place des services de santé mobiles pour eux.
Le Lesotho est le seul endroit au monde où la population a diminué à cause du sida. La mortalité des femmes enceintes a doublé en 5 ans. Elles vivent isolées dans la montagne et n’ont aucun suivi médical. La moindre complication est un arrêt de mort. Donc, nous avons ouvert plusieurs centres de soins, où on essaie de multiplier les dépistages et d’améliorer l’accès aux soins. On essaie aussi de soutenir et renforcer les structures de santé existantes et les postes de santé reculés.
Enfin, dans la région de Durban, MSF veut diminuer la transmission du VIH et de la TB. Le risque de transmettre le virus diminue de 96% quand on est sous ARV et beaucoup de gens ne savent même pas qu’ils sont séropositifs. Nous essayons de dépister plus de gens afin d’en mettre un maximum sous traitement.
Aujourd’hui, quelqu’un qui prend son traitement a une espérance de vie quasi-similaire à un séronégatif.
G&V : Les perspectives d’avenir pour les séropositifs sont-elles meilleures qu’avant?
G.V.C. : Oui bien sûr ! Quand on a débuté notre projet à Khayelitsha, devenir séropositif, c’était une condamnation à mort. Il n’y avait pas d’accès au traitement et on mourrait rapidement. Aujourd’hui, quelqu’un qui prend son traitement a une espérance de vie quasi-similaire à un séronégatif.
G&V : Comment voyez-vous ces projets en Afrique du Sud dans 10 ans?
G.V.C. : Notre rôle c’est d’identifier un besoin, puis de mettre en place un projet qui fonctionne et les structures nécessaires pour qu’il puisse être repris par les autorités locales. Nous créons des projets pilotes avec une durée de vie de 3 ou 4 ans qu’on reproduit ailleurs. Par contre, Khayelitsha est un projet à très long terme, car il reste le précurseur des projets sida en Afrique et qu’il sert de modèle à de nombreuses ONG.
G&V : Que pouvez-vous dire sur l'état actuel de l'aide humanitaire dans le monde?
G.V.C. : L’aide humanitaire ne répond pas seulement à une crise aigüe. Elle ne doit pas se limiter à traiter les symptômes, il faut s’attaquer aux causes. C’est plus compliqué et plus long, mais plus efficace. Grâce à l’effet catalytique du programme de Khayelitsha et de MSF en ce qui concerne le sida, il y a aujourd’hui 6,6 millions de personnes sous traitement dans le monde.
Pourtant, les ressources pour la lutte contre le sida diminuent. La situation va stagner. Le 23 novembre, au Ghana, le "Fonds mondial pour la lutte contre le sida, la TB et la malaria" a annoncé que les pays bailleurs de fonds diminuaient fortement leurs contributions, ce qui va handicaper les projets dans les pays pauvres. C’est un désastre pour les 7,4 millions de gens qui ont besoin d’un traitement aujourd’hui.
Propos recueillis par Magali Bertrand.