Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie est soumise à un ensemble de sanctions internationales visant à freiner son économie, en particulier ses exportations d’hydrocarbures. Pour contourner ces restrictions, Moscou a développé une stratégie maritime sophistiquée en s’appuyant sur ce que l’on appelle communément une « flotte fantôme ». Une flotte clandestine qui constitue une menace pour les règles du commerce international et présente de nombreux risques en matière de logistique maritime et de sécurité environnementale.
Qu'est-ce que la flotte fantôme russe ?
La « flotte fantôme » désigne un ensemble de navires pétroliers et méthaniers vieillissants, souvent mal entretenus et immatriculés sous des pavillons de complaisance. Ces navires permettent à la Russie de continuer à exporter son pétrole et son gaz vers des pays tiers, notamment la Chine et l’Inde, tout en échappant aux sanctions occidentales. Le terme « flotte fantôme » est employé pour souligner l'opacité de ces transactions, car les navires en question changent fréquemment de pavillon et de propriétaire pour échapper aux régulations internationales.
Selon une étude de Lloyd's List Intelligence, cette flotte compterait entre 400 et 600 navires, dont beaucoup auraient plus de 15 ans. Contrairement à l'idée reçue selon laquelle des navires de cet âge seraient en mauvais état, une grande partie de la flotte mondiale compte des navires similaires. Toutefois, l’enjeu n’est pas tant l’âge des navires, mais plutôt leur état d'entretien et les conditions dans lesquelles ils sont exploités.
Un risque pour la sécurité maritime et environnementale
L’un des principaux dangers associés à la flotte fantôme russe est le risque environnemental. Les navires de cette flotte opèrent souvent sans assurance adéquate, ou avec des assurances fournies par des sociétés de moindre envergure, basées dans des juridictions peu régulées. En cas d'accident, marée noire ou de pollution majeure, les indemnisations seraient difficiles à obtenir. Or le risque est réel.
Par exemple, en mars 2024, le pétrolier Innova, identifié comme faisant partie de cette flotte fantôme, a été à l’origine d’un déversement de pétrole au large des côtes écossaises. Ce type d’accidents est particulièrement préoccupant car les navires impliqués sont souvent difficiles à identifier et à sanctionner, compte tenu de l’opacité des registres maritimes utilisés pour leur gestion.
Comment la Russie parvient-elle à maintenir cette flotte ?
La Russie s'appuie sur un réseau international complexe de sociétés-écrans et de pavillons de complaisance pour entretenir et développer sa flotte fantôme. Des entreprises basées dans des pays comme les Émirats arabes unis ou les îles Marshall facilitent l'achat et la gestion de navires de seconde main, souvent acquis par le biais d’intermédiaires qui aident Moscou à acheter des navires à travers des sociétés-écrans.
En outre, ces navires échappent aux régulations strictes des assureurs occidentaux. En raison des sanctions, les grandes compagnies d'assurance, telles que celles du marché des Lloyd’s de Londres, refusent souvent de couvrir les cargaisons russes. Une situation qui a poussé Moscou à se tourner vers ses compagnies d’assurances historiques, comme Ingosstrakh, voire vers de petits assureurs basés dans des pays tiers, où les régulations sont moins strictes. N’étant plus soumis aux régulations strictes des grandes compagnies d’assurances maritimes, ces bateaux sont alors moins bien suivis et entretenus qu’ils ne le devraient.
Les régulations maritimes inefficaces contre la flotte fantôme
Le commerce maritime mondial est organisé par des règles complexes qui impliquent de multiples acteurs : assureurs, régulateurs maritimes, gestionnaires de ports, etc. Cependant, la flotte fantôme russe met en lumière les lacunes de ce système. Le manque de coordination internationale pour tracer les navires et vérifier leurs opérations complique la tâche des autorités qui cherchent à faire respecter les sanctions.
Les instances internationales, telles que l’Organisation maritime internationale (OMI), sont appelées à prendre plus de mesures pour renforcer la transparence des transactions maritimes. L'OMI pourrait notamment établir des standards plus stricts pour la traçabilité des navires et exiger une meilleure régulation des pavillons de complaisance. La mise en place d’une coordination entre les régulateurs maritimes nationaux pourrait également limiter l’efficacité de ces pratiques de contournement des sanctions.
Que peuvent faire les instances internationales ?
Pour lutter contre la flotte fantôme et les risques qu’elle représente, plusieurs solutions sont envisagées par les experts en logistique maritime et en commerce international :
- Renforcer la traçabilité des navires : Les navires de la flotte fantôme changent fréquemment de pavillon pour échapper aux sanctions. Une meilleure coordination internationale entre les autorités maritimes pourrait permettre de suivre plus efficacement ces changements et d’identifier les navires impliqués dans des transactions illicites.
- Améliorer les régulations assurantielles : Les sanctions sur les compagnies d’assurance ont conduit à un vide dans la couverture des cargaisons russes, permettant à des assureurs moins fiables d’entrer sur le marché. Des réformes au niveau des régulations maritimes internationales sont nécessaires pour empêcher ces assureurs de contourner les sanctions en offrant des services sans garanties solides.
- Mettre en place des sanctions ciblées sur les intermédiaires : De nombreux navires de la flotte fantôme sont achetés et gérés via des sociétés-écrans basées dans des paradis fiscaux. Des sanctions plus ciblées contre ces intermédiaires pourraient freiner la prolifération de ces transactions opaques.
- Établir des normes de sécurité maritime plus strictes : L'âge des navires de la flotte fantôme, couplé à l’absence d’entretien adéquat, représente une menace pour la sécurité en mer. Les gouvernements et les organismes maritimes internationaux devraient exiger des inspections plus fréquentes pour les navires opérant sous pavillons de complaisance.
La nécessité d’une réponse internationale
La flotte fantôme russe est une réponse directe aux sanctions internationales, qui ne peut exister qu’entre les mailles du filet de la complexité du commerce maritime mondial et de la régulation de ce secteur. Si cette flotte permet à la Russie de maintenir ses exportations d’hydrocarbures, elle expose surtout le monde à des risques environnementaux et logistiques considérables.
Pour contrer cette menace, une coopération internationale renforcée est nécessaire, notamment dans les domaines de la traçabilité des navires et des régulations assurantielles. Sans une réponse globale et coordonnée, la flotte fantôme continuera de naviguer dans les eaux internationales, échappant aux radars des autorités et des régulateurs.