Le débat sur les gaz de schiste de l’institut Montaigne auquel j’ai assisté m’a laissé une impression étrange. Du coup, je suis allé à la pêche aux informations sur internet. Sur son site, l’institut Montaigne affirme que l’un de ses 2 objectifs principaux, en dehors d’aider à la définition des politiques publiques dans le but d’améliorer l’environnement économique et social français, est d’influencer utilement le débat public en apportant des idées pragmatiques et originales.
Débat sur les gaz de schiste de l’institut Montaigne
Gaz de schiste, un malaise perceptible
Le débat sur les gaz de schiste de l’institut Montaigne auquel j’ai assisté m’a laissé une impression étrange. Du coup, je suis allé à la pêche aux informations sur internet. Sur son site, l’institut Montaigne affirme que l’un de ses 2 objectifs principaux, en dehors d’aider à la définition des politiques publiques dans le but d’améliorer l’environnement économique et social français, est d’influencer utilement le débat public en apportant des idées pragmatiques et originales.
Qu’en est-il donc des idées pragmatiques et originales exprimées lors du débat intitulé « Le gaz de schiste en France : peut-on réconcilier croissance et principe de précaution ? » organisé lundi 14 janvier 2013 conjointement par l’institut Montaigne, Think Tank fondé et présidé par Claude Bébéar et la revue ParisTech Review. Mon malaise viendrait-il de là ?
Gaz de schiste : illusion d’un débat
Première chose remarquable, il ne s’agissait pas à proprement parler d’un débat. 3 des 4 intervenants étaient acquis à la cause de la recherche en matière de gaz de schiste avec le sous-entendu de la voir déboucher sur une exploitation commerciale. Le dernier intervenant, seul à contester la nécessité de cette exploitation, était en revanche acquis à la cause du nucléaire.
Première idée pragmatique et originale de l’institut Montaigne : redéfinir la notion du débat sans doute afin d’influencer utilement le débat public.
Risques liés à l’exploitation du gaz de schiste
Tous les intervenants s’accordaient sur un point : il n’y a pas de risques majeurs liés à l’exploitation du gaz de schiste. La fracturation hydraulique utilisée est une technique bien connue depuis plus de 30 ans et parfaitement maîtrisée(argument scientifique). Le premier aspect du débat était plié : l’exploitation du gaz de schiste respecte le principe de précaution.
Les études scientifiques discordantes sont balayées d’un revers de main, car émanant de sources suspectées d’a priori négatifs. A l’inverse, les intervenants se posent comme parfaitement objectifs, notamment Philippe CROUZET, président du directoire de Vallourec, entreprise qui fourni les « tuyaux » pour le forage de puits pour l’extraction de pétrole et de gaz. Il n’a en conséquence aucun intérêt particulier à l’exploitation du gaz de schiste à travers le monde. Pourtant, à l’entendre, le développement du gaz de schiste aux Etats-Unis participe à la bonne santé de son chiffre d’affaire et de ses bénéfices.
Deuxième idée pragmatique et originale de l’institut Montaigne : disqualifier d’emblée les informations contraires aux convictions affichées.
Une vision purement économique du monde
Une des raisons principales avancées en faveur de l’exploitation des gaz de schiste est la nécessité pour la France (ou d’autres pays) de renforcer l’indépendance énergétique et de disposer d’énergie bon marché [Aucun intervenant ne mentionne que le coût de l'électricité en France est l'un des meilleurs marché dans le monde]. Ce dernier point est essentiel. Dans le monde de l’économie de marché globalisé, sans énergie bon marché, l’économie et l’industrie françaises perdent de leur compétitivité et se voient condamnées à un irrémédiable déclin (argument de la peur).
L’exploitation du gaz de schiste produit de l’énergie bon marché, ce qui est bon pour l’économie. Qui plus est elle créera des emplois en France. Le deuxième point du débat est plié : le gaz de schiste créera de la croissance.
Troisième idée pragmatique et originale de l’institut Montaigne : le respect absolu des dogmes du libéralisme. La seule économie possible est l’économie de marché et tout autre dimension de la vie hors de l’économie ne doit être prise en compte qu’en fonction de cet unique système. Hors l’économie de marché, pas de salut !
Le gaz de schiste en France : peut-on réconcilier croissance et principe de précaution ?
Pour répondre à cette question concernant le gaz de schiste, il aura fallu aux intervenants un maximum de 15 minutes : oui, on peut réconcilier croissance et principe de précaution. La suite du débat servira essentiellement à la répétition des arguments scientifique (risques maîtrisés) et économique (positif pour la croissance) et à démontrer que ceux qui ne partagent pas le même enthousiasme sur les gaz de schiste souffrent de quelque chose s’apparentant à l’obscurantisme. Soit !
Aucune analyse économique digne de ce nom
Il n’y aura cependant aucune analyse économique digne de ce nom pour autant. A aucun moment, le coût de l’exploitation des gaz de schiste ne sera comparé de manière précise et chiffrée avec les énergies renouvelables. Pas plus, la source d’emploi que peut représenter ces énergies ne sera évoquée. Il ne sera par exemple pas relevé qu’en Allemagne, au Pays-Bas, dans le sud de l’Italie, et en Espagne la parité réseau pour le solaire voltaïque a déjà été atteinte.
Alternative éventuelle au gaz de schiste
Hors le nucléaire pour Edouard BRÉZIN, professeur émérite à l’université Pierre et Marie Curie, ancien président du CNRS, il n’y a pas d’alternative crédible pour les autres intervenants (argument de l’exclusion ab initio).
L’efficacité énergétique est à peine évoquée. Quant aux énergies renouvelables, elles sont qualifiées de plus émettrices de co2 ce qui est au moins inexact (voir tableau en fin d’article) et sont malheureusement intermittentes. A aucun moment, il n’a été question des solutions propres à pallier ce désavantage telles que les réseaux électriques intelligents (Smart Grid), les progrès dans les techniques de stockage (air comprimé, batteries, sels fondus ou STEP).
Quatrième idée pragmatique et originale de l’institut Montaigne : ignorer les solutions éventuelles à un problème si elles ne s’accordent pas avec les convictions affichées.
Gaz de schiste vaut mieux que le charbon pour lutter réchauffement climatique
Si aucun des intervenants ne niait la réalité du réchauffement climatique, il a été rappelé que ce dernier n’était pas dû en premier lieu par les activités humaines. Dans un débat où l’argument scientifique a beaucoup été utilisé pour justifier de l’exploitation des gaz de schiste, les intervenants ont fait référence en matière de réchauffement climatique au professeur Courtillot, dont la probité scientifique est, dans ce domaine sujette à caution.
Hors la combustion du gaz de schiste, tout comme celle du gaz naturel, est une source non négligeable d’émission de co2. Avec fin 2012 un taux de co2 à 396 ppm dans l’atmosphère pour une augmentation annuelle d’environ 2 % , la limite des 450 ppm, qualifiée par certains climatologue comme fatidique, sera rapidement atteinte. Le gaz naturel participant en 2010 selon l’Agence Internationale de l’Energie à 24,4 % à ces émissions pour une contribution à la production primaire d’énergie de 21,4 % (charbon 43,1 % pour 27,3 % de la production ; pétrole 36,1 % pour 32,4 % de la production), est-ce bien raisonnable d’en augmenter la consommation ?
La réponse donnée par les intervenants est la suivante : mieux vaut le gaz de schiste que le charbon, nettement plus impactant sur la question du co2, à moins que les recherches contestées par les intervenants ne se révèlent finalement correctes. Si c’est le cas, le gaz de schiste aura un bilan gaz à effet de serre aussi mauvais sinon pire que le charbon.
Cinquième idée pragmatique et originale de l’institut Montaigne : en matière de lutte contre le réchauffement climatique, l’exploitation d’une nouvelle ressource énergétique émettrice de co2 est salutaire.
Modèle économique envisagé pour les gaz de schiste
L’exploitation du gaz de schiste aux Etats-Unis est, selon Philippe Crouzet arrivée à maturité. La multitude petites sociétés à leur origine sont progressivement rachetées par des grands groupes. Une concentration est en train de se réaliser ce qui permettra à la fois des économies d’échelle et une garantie d’une exploitation plus soucieuse du respect des règlements.
Le modèle qui se développe ressemble donc à celui du marché du pétrole. D’ailleurs, ce sont souvent les grands pétroliers qui se diversifient grâce ce nouvel El Dorado énergétique.
Sixième idée pragmatique et originale de l’institut Montaigne : reprendre le modèle économique du pétrole et l’appliquer au gaz de schiste.
Gaz naturel : une énergie souple
J’arrête ici l’énumération des idées pragmatiques et originales afin d’éclairer le citoyen que prône l'institut Montaigne. L’expérience de ce débat rapproche plus cet institut d’un lobby soutenant l’idéologie libérale et l’économie de marché qu’une institution soucieuse de poser des questions et d’y répondre avec le moins possible de présupposés idéologiques.
Le seul point intéressant souligné au cours de ce débat est le suivant : les centrales à gaz, avec l’hydraulique, sont les plus souples pour répondre aux pointes de consommation. Avec celui d’augmenter un peu l’indépendance énergétique de la France, c’est le seul argument vraiment valable à même de se poser la question de l’opportunité d’exploiter les gaz de schiste.
Un peu d’objectivité ne fait pas de mal
Reste, en dépit de la qualité des intervenants qui connaissaient bien leur sujet, en quoi être en faveur des gaz des schistes et de leur exploitation est une idée originale. Elle ne l’est tout simplement pas. En revanche, du point des avantages sus-mentionnés, il ne peut être nié que l’exploitation des gaz de schiste est une idée relativement pragmatique pour répondre à notre besoin d’énergie.
Reste encore que dans un débat auquel il a été reproché à la France sa frilosité au sujet des gaz de schiste à grands coups d’arguments scientifiques, les intervenants n’ont recourus à la légitimité scientifique que lorsque cela permettait de justifier leur position.
Si l’objectivité ne fut pas le fort des participants à ce débat, cet article ne fait guère mieux jusqu’à présent. Je tiens donc à préciser, hormis sa harangue politicienne contre un parlement qui a décidé leur interdiction avant d’avoir pris connaissance du dossier scientifique sur les gaz de schiste de les interdire, que Christian PIERRET, associé chez August&Debouzy et ancien ministre délégué à l’Industrie, se distingue par sa participation à l’aventure des biocarburants avec l’entreprise Deinove.
Quant à Claude Perdriel, président du conseil de surveillance du Nouvel Observateur, il y a peu de doute que sa fibre écologique soit feinte bien que sa vision en ce domaine inverse les priorité entre économie et environnement, faisant passer la santé de la première avant celle du second. Or, pour qu’il y ait une économie de marché telle qu’il la défend, faut-il encore qu’il y ait une biosphère vivable !
Tous deux sont ainsi à ranger dans les adeptes de l’écologie de marché dans un sens très différent que celui proposé ici.
Enfin, si Edouard Brézin défend le nucléaire, il le fait essentiellement par soucis environnemental : c’est effectivement la source actuelle la moins productrice de co2 à même de fournir massivement de l’énergie. Pour cela, il faut tout de même faire l’impasse sur les risques et la question des déchets, non résolues depuis 40 ans (voir ici une intervention de Corinne Lepage à ce sujet).
Urgence économique contre urgence climatique : se trompe-t-on de combat ?
L’impression générale que m’a laissé ce débat est celle d’une assemblée essentiellement acquise à la cause des gaz de schiste en raison non pas d’une urgence climatique mais économique. Globalement, l’assemblée donnait l’impression (je ne dis donc pas qu’elle l’était) soucieuse de s’ouvrir en France une nouvelle source de bénéfices à développer à son profit, la question environnementale et du principe de précaution demeurant secondaire et considérée à court terme.
On percevait aussi la puissance financière, économique, politique et idéologique derrière la façade, celle des grandes multinationales. Bien qu’elles mènent pour l’essentiel un combat d’arrière-garde visant à maintenir le système qui a fait leur fortune, leur puissance de feu réelle et leur détermination est bien réelle. Elle est hélas encore bien plus forte que celles de ceux qui cherchent à développer une véritable alternative de société plus respectueuse des hommes et de l’environnement.
Pour conclure, je rappellerai que Montaigne était un pyrroniste avéré et donc un sceptique. L’inverse de l’espèce de dogmatisme dont on fait preuve les différents intervenants de cette bien étrange soirée.
Thierry Tacite