Les Palestiniens n’ont peut-être pas encore un État, mais ils ont sûrement déjà un homme d’État. Le chef de l’Autorité palestinienne, a été accueilli comme un héros après avoir demandé aux Nations unies d’admettre la Palestine comme État membre le 23 septembre 2011.
De Septembre-Noir à septembre 2011 : le chemin vers un État palestinien
Marc Finaud est le Conseiller spécial du Directeur du Centre de Politique de Sécurité de Genève (GCSP). L’auteur s’exprime à titre personnel.
Les Palestiniens n’ont peut-être pas encore un État, mais ils ont sûrement déjà un homme d’État. Mahmoud Abbas, le chef de l’Autorité palestinienne, a été accueilli comme un héros lors de son retour à Ramallah après avoir demandé aux Nations unies d’admettre la Palestine comme État membre le 23 septembre 2011.
Mahmoud Abbas a en effet démontré ses qualités diplomatiques et son audace personnelle en refusant de céder à toutes les pressions visant à décourager son initiative. Non seulement sa crédibilité comme "partenaire" pour conclure la paix avec Israël en est sortie renforcée, mais aussi son prestige international et, plus important, sa popularité par rapport au Hamas à l’intérieur de la Palestine.
Les "réalistes", à commencer par l’administration Obama, se sont opposés à cette initiative en soulignant qu’un État ne pouvait résulter que des négociations de paix avec Israël, que rien ne changerait sur le terrain après une reconnaissance, que celle-ci pourrait engendrer la violence, etc. Pourtant, le président Obama avait bien déclaré à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU en 2010 :
Quand nous reviendrons ici l’an prochain [en 2011], nous pourrons avoir un accord permettant à un nouvel État membre d’être admis à l’ONU, un État indépendant, souverain d'une Palestine vivant en paix avec Israël.
Entre-temps, les États-Unis, comme l’Union européenne, avaient consacré des moyens considérables à aider le futur État palestinien à se construire, à développer son économie et ses institutions. L’administration américaine avait même soutenu un certain temps la précondition palestinienne du gel des implantations israéliennes pour permettre à des négociations sincères de reprendre.
Depuis 2010, à cause de préconditions mutuellement inacceptables, les négociations étaient en effet au point mort. La demande palestinienne à l’ONU a au moins déjà atteint l’un de ses objectifs : les négociations sont de nouveau à l’ordre du jour, encouragées par diverses initiatives américaines ou européennes, et l’État palestinien n’est plus un espoir chimérique ("la lumière au bout du tunnel") mais est plus proche de la réalité que jamais.
De la lutte armée à la politique
Quel chemin parcouru lorsqu’on se remémore l’histoire du mouvement national palestinien ! Comme dans plusieurs autres conflits, une organisation à l’origine uniquement tournée vers l’action militaire et la violence armée est progressivement devenue une structure politique et l’embryon d’un État.
Au Sommet du Caire de 1964, la Ligue arabe s’était fixée comme but la "libération de la Palestine" par le combat armé, et dans la Charte de 1964 de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), le peuple palestinien entendait "exercer son droit à l’auto-détermination et à la souveraineté sur [toute la Palestine mandataire]."
Après la guerre des Six-Jours de 1967 et l’occupation par Israël de la Cisjordanie et de Gaza, les combattants palestiniens se sont réfugiés en Jordanie pour poursuivre leur lutte contre Israël. Les combats de Septembre-Noir en 1970 avec l’armée jordanienne ont poussé l’OLP à trouver asile au Liban, d’où elle a continué ses activités, y compris des attaques terroristes contre des civils.
Le Sommet arabe de Rabat en 1974 a proclamé son soutien à la cause de la création d’un État palestinien. Du fait de l’implication des combattants palestiniens dans la guerre civile au Liban à partir de 1975, l’invasion du Pays du cèdre par Israël en 1982 se solda par leur expulsion à Tunis. Entre-temps, le Conseil national palestinien, dirigé par Yasser Arafat, demanda en 1974 l’établissement d’un État indépendant de Palestine.
La reconnaissance d'Israël digérée
À la suite de la première Intifada, la proclamation par l’OLP d’un État palestinien en 1988 reconnut indirectement le droit d’Israël d’exister sur la base des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité de l’ONU. Le soutien à l’auto-détermination des Palestiniens avait déjà été exprimé par le prédécesseur de l’Union européenne dans la Déclaration de Venise de 1980, et le président français François Mitterrand s’était fait l’avocat d’un État palestinien dans son discours à la Knesset israélienne en 1982.
Les accords d’Oslo de 1993 et l’annulation solennelle des clauses de la Charte de l’OLP sur la destruction d’Israël ont ouvert la voie à une solution à deux États, à atteindre par des moyens non violents. C’est la solution à laquelle le Plan de paix arabe de 2002 puis la résolution 1397 du Conseil de sécurité de 2002 ont apporté leur appui solennel.
La création d’un État palestinien dans des frontières suivant les lignes de 1967 (en fait celles de 1949) moyennant d’éventuels échanges de territoire équivaudrait en fait à un retour au Plan de partage de l’ONU de 1947 (résolution 181 de l’Assemblée générale), qui prévoyait l’établissement d’un "État juif" et d’un "État arabe" tout en conservant pour Israël l’expansion de son territoire jusqu’en 1949.
Une nouvelle étape dans les longues et douloureuses relations entre Israël et ses voisins palestiniens s’est ainsi ouverte avec l’initiative de Mahmoud Abbas. Elle n’est pas complètement étrangère aux évolutions historiques qui ont secoué le monde arabe. En effet, l’aspiration générale à une vie normale dans un pays démocratique, démontrée avec force mais pacifiquement par la jeunesse et la "rue" arabes, a trouvé son expression chez les Palestiniens sous la forme de la demande non violente d’un État trop longtemps attendu.
L'État hébreu doit saisir l'occasion
Le paradoxe de cette nouvelle situation est que les plus ardents partisans de cet État, l’administration Obama, et, avec certaines nuances internes, l’Union européenne, semblent maintenant désireux d’en retarder la naissance.
Le gouvernement israélien, pour sa part, en opposant sa résistance à cette perspective, peut donner l’impression que les négociations qu’il propose de reprendre n’ont pour seul but que de retarder indéfiniment la création d’un État palestinien. Il peut confirmer la conviction de certains qu’il ne cherche qu’à créer des faits accomplis sur le terrain (le nombre de colons israéliens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est a triplé depuis Oslo).
Son attitude envers les changements démocratiques dans le monde arabe a consisté en une grande prudence sinon une forme de paranoïa, exprimant une certaine nostalgie pour des régimes stables bien qu’autoritaires, un autre paradoxe pour la "seule démocratie" dans la région. Son attitude rigide lui a fait perdre son allié turc, qui aurait pu l’aider à jeter des ponts avec le monde arabe.Il a avancé qu’un État qui ne contrôlerait pas la totalité du territoire palestinien ne serait pas acceptable tout en rejetant la moindre idée de gouvernement d’unité nationale incluant le Hamas.
S’il était animé de la même confiance en soi et la même vision qui avaient inspiré les dirigeants israéliens avant l’accord d’Oslo, le gouvernement israélien saisirait dès à présent l’occasion offerte par la reconnaissance d’un État palestinien pour conclure un accord mutuellement avantageux. Il a trop souvent accusé les Palestiniens dans le passé de se laisser influencer par des extrémistes fanatiques et de "rater une occasion" pour ne pas échanger les rôles aujourd'hui.
Marc Finaud est le Conseiller spécial du Directeur du Centre de Politique de Sécurité de Genève (GCSP). L’auteur s’exprime à titre personnel.