Cairns : ce geste anodin qui ravage nos écosystèmes

Sur Instagram, ils font fureur. Dans la nature, ils font des ravages. Les cairns, ou empilements de pierres, sont devenus les symboles esthétisés d’une randonnée réussie. Pourtant, derrière chaque amas de galets, un désastre écologique silencieux s’ébauche.

Par Stéphanie Haerts Modifié le 10 avril 2025 à 11 h 22
Cairns : ce geste anodin qui ravage nos écosystèmes

Le Parc national des Calanques a publié un communiqué sans équivoque, le 28 juin 2022 : « Stop aux cairns géants dans les Calanques ! ». Le phénomène, largement diffusé sur les réseaux sociaux, s’étend désormais de la Corse à la Bretagne, des Pyrénées aux Alpes. Ce que beaucoup perçoivent comme une simple marque de passage ou une œuvre d’équilibre artistique camoufle en réalité une atteinte grave aux écosystèmes.

Cairns et pierres déplacées, le revers d’un geste viral

Rien de plus tentant qu’un bel empilement de pierres au sommet d’un sentier : une photo, un souvenir, une trace laissée. Le rock balancing a gagné les cœurs et les hashtags, mais pas les naturalistes. « C’est un phénomène de masse qui perturbe tout un écosystème », prévient NR Pyrénées.

Ce geste anodin cache des conséquences lourdes. À force de manipuler les galets, le sol s’érode, la végétation s’efface, les sentiers s’élargissent, forçant les randonneurs à dévier et à piétiner des zones autrefois intactes. La nature n’a pas été conçue pour ces jeux d’équilibre artificiels.

Cairns dans les Calanques : les espèces en première ligne

« Quatre espèces sont directement atteintes par la création de cairns dans les Calanques », alerte Jane Dziwinski, du Parc national des Calanques sur Ouest-France. Parmi elles : le scorpion à pattes jaunes, le cloporte, la tarente de Maurétanie et l’hémidactyle verruqueux. Ces micro-habitats que forment les tas de pierres sont indispensables à leur survie.

Mais le saccage ne s’arrête pas à la faune. La flore endémique est également écrasée, déplacée, arrachée sous le poids des chaussures et des blocs déplacés. Le phénomène ne se limite pas au Sud. En Bretagne, dans les Côtes-d’Armor, ou à la pointe du Raz, les collectivités locales ont entrepris de détruire systématiquement ces empilements nuisibles.

Rock balancing : quand la mode s’en prend à la biodiversité

« C’est un phénomène mondial », confirme Nick Clemann, écologue au Arthur Rylah Institute du gouvernement du Victoria, en Australie sur ABC News. « Certaines espèces vivent uniquement dans des formations rocheuses millénaires. Déplacer quelques pierres peut suffire à rendre leur habitat inutilisable. » Le guthega skink, un lézard rare vivant dans les Alpes victoriennes, en a fait les frais.

L’empilement de pierres a détruit son réseau de terriers. Et même une fois les pierres replacées, « le sceau est brisé », explique Nick Clemann. Les prédateurs trouvent un accès, et les animaux fuient. La colonie s’éteint. Le tout pour une photo à la lumière rasante ?

Cairns, quand les promeneurs se perdent

À l’origine, les cairns étaient des balises pour s’orienter en montagne. Aujourd’hui, leur prolifération crée l’effet inverse : « Les randonneurs risquent de suivre des balisages fantaisistes et de se perdre », souligne Le Parisien. La fonction originelle a été détournée. Là où un seul cairn indiquait un col, on en trouve parfois des dizaines, posés par des marcheurs désœuvrés ou des influenceurs inspirés. Ce n’est plus de l’orientation, c’est du sabotage paysager.

Le cadre légal est clair : dans les parcs naturels français, toute atteinte au milieu naturel est passible d’une amende. À Crozon, des panneaux rappellent l’interdiction d’empiler les pierres. À Saint-Denis-d’Oléron, des centaines de cairns ont été détruits manuellement. Et la législation australienne prévoit jusqu’à 8 000 dollars d’amende (environ 4 850 euros) pour la destruction d’un habitat naturel. L’érosion n’est pas qu’un mot. C’est une réalité que chaque caillou déplacé accélère.

Rédactrice dans la finance et l'économie depuis 2010. Après un Master en Journalisme, Stéphanie a travaillé pour un courtier en ligne à Londres où elle présentait un point bourse journalier sur LCI. Elle rejoint l'équipe d'Économie Matin en 2019, où elle écrit sur des sujets liés à la consommation, la finance, les technologies, l'énergie et l'éducation.

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