Il y a fort à parier que, deux mois après, la nouvelle continue de faire des heureux en Jamaïque. En mai dernier, la multinationale chinoise Jisco a racheté Alpart, la plus grande usine de bauxite du pays, pourtant à l’arrêt depuis 9 ans. Ouverte en 1969, elle servait à transformer, chaque année, près de 5 millions de tonnes de ce minerai en 1,65 million de tonnes d’aluminium, et employait un millier de personnes. Puis la crise mondiale est passée par-là ; en 2008, la production s’est arrêtée et le personnel a été mis sur le carreau. Un petit désastre, non seulement pour les paroisses — nom donné aux découpages administratifs jamaïcains — de Saint-Elizabeth et de Manchester, situées dans le sud, mais également pour le pays tout entier, dont l’économie dépend fortement des ressources naturelles, en tête desquelles la bauxite.
De l’histoire ancienne, donc. Jisco, fondée quant à elle en 1958, a annoncé qu’elle injecterait 2 milliards de dollars dans la modernisation de l’usine, qui s’ajoutent à la facture de 300 millions de dollars déboursés pour son rachat. De quoi recréer le millier de postes perdus — 700 devraient être affectés à des Jamaïcains — et même rappeler les techniciens hautement qualifiés qui avaient dû aller chercher du travail à l’étranger. Le tableau à première vue paraît idyllique ; ce serait simplement omettre un tout petit détail : que ce soit en Indonésie, Malaisie ou en Guinée, l’implantation des sociétés minières chinoises a été synonymes de conflits sociaux et surtout, de destruction environnementale.
A l’origine de l’explosion de la demande mondiale : la Chine
La Chine est ce que l’on appelle, dans le jargon, un prédateur. Plus exactement, ce sont ses entreprises qui ont fait de la bauxite leur or qui méritent ce titre. Si l’extraction du minerai, pour produire ensuite de l’aluminium, a littéralement explosé un peu partout dans le monde ces dernières années, c’est en grande partie grâce aux usines chinoises. Entre 2000 et 2014, la production de bauxite est passée de 7,9 millions de tonnes à 65 millions de tonnes, soit une variation de plus de 700 % (!), et représente près de 23 % du marché mondial. Des chiffres dont on ne trouverait rien à redire si seulement ils n’étaient pas atteints au détriment de tous les standards environnementaux.
Car la chasse à la bauxite n’est pas sans risque pour la planète, loin de là. La Malaisie peut en attester. En janvier 2016, le gouvernement avait dû interdire pour trois mois l’extraction du minerai par les entreprises chinoises, à l’est du pays, en raison des craintes grandissantes de pollution de l’environnement et de dommages pour la santé. Lors du creusement des galeries dans le sol, nécessaires pour extraire la bauxite, certains métaux lourds cancérigènes, comme le strontium et le césium, ainsi que de faibles niveaux de radioactivité peuvent être rejetés. Et se retrouver dans le système d’approvisionnement de l’eau voire la chaîne alimentaire, avec à la clé des problèmes respiratoires parfois sérieux, si les personnes en charge de l’extraction de bauxite sont peu scrupuleuses.
Si les défenseurs de l’environnement malaisiens ont avant tout pointé du doigt l’exécutif, accusé de fermer les yeux sur les pratiques illégales des compagnies, ils ont également souligné la forte hausse des cours nationaux de la roche rougeâtre — près d’un million de tonnes en 2014. A l’origine de l’explosion de la demande ? La Chine.
Le capitalisme au détriment de l’écologie
Et quoi de mieux pour satisfaire l’appétit insatiable des sociétés chinoises que les plus grandes réserves de bauxite au monde ? Avec 25 milliards de tonnes, soit près d’un tiers des réserves mondiales, pas étonnant que la Guinée ait un beau jour vu débarquer chez elle plusieurs sociétés minières chinoises (China Hongqiao Group, Chinalco, etc.). Outre la pollution dans les villes et les campagnes, la région de Boké, à l’ouest du pays, notamment, souffre de cette destruction en règle de l’environnement. C’est, en particulier, l’anacardier — qui donne les noix de cajou —, véritable fleuron de la politique agricole du président Condé, qui en fait les frais. Alors qu’une tonne de cajou coûte dix fois plus cher qu’une tonne de bauxite, les plantations sont totalement détruites pour les beaux yeux du minerai.
Le pire, dans l’histoire, c’est que les Guinéens, pas plus que les Jamaïcains aujourd’hui ou les Malaisiens hier, ne bénéficieront jamais des « bienfaits » de la roche rouge — ou alors très indirectement. Celle-ci, une fois extraite, plutôt que d’être transformé sur place — ce qui serait bénéfique à l’économie locale — se retrouve par milliers de tonnes sur des navires direction la Chine, où les 180 alumineries du pays produisent 50 % de l’aluminium mondial — soit 33 millions de tonnes par an. On comprend dès lors mieux pourquoi les entreprises chinoises font l’économie de l’écologie ; elles n’ont pas de temps à perdre avec les normes environnementales d’un côté, alors qu’il s’agit, de l’autre, d’inonder le marché de leur production pour influer sur le prix du métal, que la Chine entend maintenir très bas.
Une logique pas très vertueuse qui explique également pourquoi la demande de l’Empire du Milieu en bauxite devrait atteindre près de 52 millions de tonnes d’ici 2019. Et, grâce à des rachats tous azimuts d’usines comme en Jamaïque, en mai dernier, gageons malheureusement que Pékin parviendra à de tels sommets. Dans le même temps, peut-être qu’une partie de l’environnement de Saint-Elizabeth et Manchester sera dégradée. Mais ce n’est semble-t-il pas le problème des Chinois.