Agriculture : ces microplastiques invisibles qui tuent la terre

Ils sont invisibles à l’œil nu, mais leur impact est colossal. En s’infiltrant dans la terre nourricière, les microplastiques s’imposent comme une menace insidieuse pour l’agriculture. Derrière l’image anodine de particules fragmentées, se cache une perturbation bien plus large de nos systèmes alimentaires.

Par Stéphanie Haerts Modifié le 26 mars 2025 à 16 h 13
des cultures réduites à cause des microplastiques

Les microplastiques, résidus inférieurs à cinq millimètres issus de la dégradation du plastique, se sont aujourd’hui immiscés dans les moindres recoins de notre environnement. Depuis le 26 mars 2025, les travaux publiés par la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) et les investigations de l’ADEME (Agence de la transition écologique) ont révélé l’ampleur d’un phénomène longtemps sous-estimé : l’envahissement silencieux des sols agricoles, cœur battant de notre sécurité alimentaire.

Microplastiques : une intrusion massive dans les sols agricoles

L’idée que la pollution plastique concerne uniquement les océans relève désormais de la douce illusion. Une enquête nationale dévoilée le 27 décembre 2024 par GEO, fondée sur les analyses de l’ADEME, montre que « 76 % des sols examinés sont contaminés par des microplastiques », avec une moyenne de 15 particules par kilogramme de sol sec. Un chiffre inquiétant. Des parcelles de grandes cultures, aux vergers, en passant par les prairies, aucune typologie de sol n’est épargnée.

Le polyéthylène et le polypropylène, polymères majoritairement issus des emballages plastiques, s’incrustent, altérant les propriétés physiques de la terre. Isabelle Deportes, ingénieure à l'ADEME, le souligne dans un communiqué : il est « indispensable de caractériser les contaminations courantes et (...) en identifier les sources, afin de mettre en place un plan d’actions efficace ».

Microplastiques et cultures : une guerre silencieuse

Au-delà de leur simple présence, les microplastiques dégradent les fonctions vitales du sol. Comme l’explique RFI dans son émission "Questions d’environnement" du 26 mars 2025, les microplastiques modifient la structure des agrégats, réduisent la porosité et perturbent les échanges gazeux et hydriques. Résultat : une terre moins vivante, moins fertile.

Marie-France Dignac, directrice de recherche à l’Inrae, affirme dans l’émission : « Ces microplastiques entraînent une baisse de l’activité microbienne, ce qui diminue la dégradation de la matière organique et impacte le cycle des nutriments essentiels à la croissance des plantes. » Ce déséquilibre microbien nuit directement à la productivité agricole. Pire encore, l’accumulation de ces particules empêche l’enracinement optimal, modifie l’absorption d’eau, et contribue à l’appauvrissement de la biomasse souterraine. Les plantes se retrouvent littéralement en état de stress.

Une menace mondiale sur la sécurité alimentaire

L’analyse publiée par PNAS le 10 mars 2025 va plus loin : elle établit une estimation globale des pertes de productivité induites par la pollution aux microplastiques. En s’appuyant sur 3 286 données issues de multiples écosystèmes, les chercheurs révèlent une chute de photosynthèse de 7,05 % à 12,12 % chez les plantes terrestres et les algues. Une attaque frontale contre la base même de la production agricole.

Les auteurs précisent : « Ces pertes se traduisent par une diminution annuelle de 109,73 à 360,87 millions de tonnes de production agricole. » Et les conséquences ne s’arrêtent pas aux cultures terrestres : la production de fruits de mer pourrait baisser de 1,05 à 24,33 millions de tonnes par an. Le constat est d’autant plus alarmant qu’il est réversible. Selon cette même étude, « une réduction de 13 % des microplastiques dans l’environnement permettrait d’éviter jusqu’à 115,73 millions de tonnes de pertes annuelles agricoles ». Encore faut-il enclencher une dynamique globale et coordonnée, ce qui, en l’état, relève plus de l’utopie que de la stratégie politique.

Microplastiques et agriculture, une absence de législation

Les institutions s’agitent mais les réglementations concrètes piétinent. Comment expliquer l’absence de législation sérieuse pour limiter l’épandage de composts industriels contenant des résidus plastiques ? Pourquoi tant de laxisme face à la prolifération de bâches agricoles non biodégradables ? Il faut dire que le sol ne crie pas, ne saigne pas, ne montre pas d’images-chocs. Pourtant, c’est bien lui qui nourrit l’humanité.

Alors que les sols français sont déjà mis à rude épreuve par l’érosion, l’artificialisation, les pesticides et le changement climatique, l’invasion des microplastiques agit comme un poison diffus, lent mais irréversible. La pollution plastique ne se contente plus de flotter sur les océans : elle contamine jusqu’aux racines de notre modèle agricole. Tant que cette menace ne sera pas traitée avec le même sérieux que les émissions de gaz à effet de serre, les pertes continueront à s’accumuler silencieusement.

Rédactrice dans la finance et l'économie depuis 2010. Après un Master en Journalisme, Stéphanie a travaillé pour un courtier en ligne à Londres où elle présentait un point bourse journalier sur LCI. Elle rejoint l'équipe d'Économie Matin en 2019, où elle écrit sur des sujets liés à la consommation, la finance, les technologies, l'énergie et l'éducation.

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