Des raisons exclusivement endogènes sont à l’origine de la crise financière globale. Elle peut aboutir à une période de stagnation indéfinie comme à des issues inattendues pour nos sociétés.
Quelles peuvent être à long terme les conséquences socio-économiques de la crise de la dette?
Benoît Forin est économiste, formateur international à la Banque de France. Il s’exprime ici à titre personnel.
Des raisons exclusivement endogènes sont à l’origine de la crise financière globale. Elle peut aboutir à une période de stagnation indéfinie comme à des issues inattendues pour nos sociétés.
La globalisation économique et financière était, selon ses défenseurs, la garantie d’un progrès indéfini pour tous ses protagonistes. Le primat de la finance sur l’économie est venu contredire cette radieuse aspiration, et les exigences des actionnaires ont petit à petit orienté les choix des acteurs financiers vers la facilité de “l’économie casino”. Cette perversion a culminé dans l’invention des “produits financiers composites” (certains disent “toxiques”) responsables du déclenchement, courant 2007, de la crise financière qui se poursuit encore aujourd’hui.
En peu d’années, la menace d’une crise systémique du secteur financier mondial a fait place à une “crise de la dette” des États. Ceux-ci sont les victimes paradoxales d’une spéculation à la baisse sur leurs titres d’emprunteurs souverains, orchestrée par ceux-là mêmes dont ils avaient pourtant organisé le sauvetage quelques mois plus tôt.
Le même enchaînement s’est répété : baisse brutale de la valeur des titres financiers détenus par les investisseurs, à la suite d’une prise de conscience d’une réalité économique sous-jacente défavorable, puis crise de liquidité du marché aboutissant à un blocage des échanges interbancaires, chaque banque doutant de la solvabilité de sa possible contrepartie, suspectée de détenir trop de titres sans valeur dans son bilan.
Marchés incertains et consensus lointain
La révélation d’une possible impossibilité pour la Grèce de rembourser sa dette sans une participation volontaire du secteur privé a entraîné un doute plus profond sur la solvabilité de pays développés fortement endettés. D’où un climat de profonde incertitude sur les marchés financiers, qui ont perdu leur traditionnelle référence (“benchmark”) pour la fixation des prix des autres valeurs, les titres de dette souveraine faisant figure, traditionnellement, de placements comportant le minimum de risques.
Les financements par le marché tiennent désormais une place décisive dans la stratégie des grandes entreprises, et celles-ci s’en retrouvent gênées dans leur activité, entraînant avec elles tous leurs sous-traitants. Que cette situation se poursuive en raison de l’impuissance des gouvernements, et le “mal japonais” de la décennie perdue des années 1990 deviendra notre lot commun pour une, voire plusieurs, décennies.
Il ne faut sans doute pas, en la matière, se montrer exagérément optimiste : un consensus international suffisamment étendu est nécessaire pour aboutir à des réformes significatives du secteur financier et à la consolidation des dettes. Nous sommes loin de son atteinte.
Un nouveau monde à financer
Mais un second paradoxe - en est-ce véritablement un ? - est que des activités d’avenir attendent impatiemment des financements du secteur bancaire. Celui-ci, pris au piège de l’investissement financier, ne peut ou ne souhaite cependant pas le leur accorder. Énergies nouvelles, habitats repensés, nouveaux modes de transport, services de proximité à la personne, il existe tout un nouveau monde, à l’état virtuel, qui ne demande qu’à naître dans la vie quotidienne des pays du Nord comme du Sud.
De même, une quantité d’infrastructures font défaut non seulement pour répondre à des besoins de base dans les pays du Sud, mais pour achever et compléter le développement de ceux du Nord : réseaux de transports et de distribution, ressources sanitaires et hospitalières, éducatives pour les plus jeunes, curatives pour les plus âgés.
Aussi cette première crise globale s’accompagne-t-elle d’une prise de conscience planétaire d’identité par des populations victimes de cette sphère financière coupée de l’économie réelle. “Je me révolte, donc nous sommes.” (Albert Camus). L’impuissance de ses représentants légitimes face aux marchés financiers conduit les populations à reprendre la parole, non pour proclamer la possibilité d’un nouveau monde, mais pour réclamer sa construction.
Vers plus de sobriété et de solidarité
Où peuvent donc conduire les voies à suivre? Probablement à un mode de vie revisité, plus sobre et plus proche des rythmes naturels, ceux du corps, ceux des saisons. L’échange non-marchand y tiendra certainement une place accrue, à la fois faute de moyens financiers pour certains, et de motivation à s’enrichir pour les autres. Un recentrage sur les activités d’éducation, de formation, de partage de l’information (facilité par les outils globaux de communication) est également vraisemblable.
Mais le maître-mot est probablement celui de proximité, pour réduire ou dépasser les distances, introduites par une financiarisation débridée, qui séparent les pays, les cultures et les personnes elles-mêmes. N’en verrions-nous les prémisses dans les mouvements du “Printemps arabe” ou celui des “Indignés” ?
Benoît Forin est économiste, formateur international à la Banque de France. Il s’exprime ici à titre personnel.