Pour en finir avec la malédiction des ressources naturelles

ZURICH – Il arrive plus souvent qu’une perspective géopolitique émerge à la suite d’une expérience réelle que grâce à des réflexions plus générales. L’arrivée à l’aéroport Charles de Gaulle à Paris, en provenance de Conakry, Guinée, en est un exemple : l’aéroport de Conakry, situé dans un des pays les plus pauvres du globe, dépasse de loin la prestigieuse plaque tournante de la France en termes de propreté, de services et de la fierté nationale qu’il inspire.

Par Octavia Tapsanji Modifié le 22 janvier 2013 à 15 h 46

ZURICH - Il arrive plus souvent qu’une perspective géopolitique émerge à la suite d’une expérience réelle que grâce à des réflexions plus générales. L’arrivée à l’aéroport Charles de Gaulle à Paris, en provenance de Conakry, Guinée, en est un exemple : l’aéroport de Conakry, situé dans un des pays les plus pauvres du globe, dépasse de loin la prestigieuse plaque tournante de la France en termes de propreté, de services et  de la fierté nationale qu’il inspire.

En multipliant ce genre d’exemples au sein d’un projet national, la Guinée pourrait rejoindre le groupe restreint de pays riches en matières premières qui ont su déjouer la malédiction incarnée par la corruption et la dégradation de l’économie qui accompagnent souvent le fait de disposer de vastes ressources naturelles.

L’histoire démontre la difficulté qu’il y a à éviter la malédiction des ressources – et qu’elle n’affecte pas seulement, comme on le pense souvent, les pays les moins développés, par exemple le Nigeria. Dans les années 1980, le boom économique lié à la manne d’hydrocarbures de la mer du Nord a sapé la compétitivité générale de l’économie britannique, tandis que le gouvernement du Premier ministre Margaret Thatcher gaspillait une bonne partie des revenus en subsides qui ont encouragé une consommation excessive.

Bien qu’une poignée de pays soit parvenue à conjurer cette malédiction, dont le Botswana, le Chili et la Norvège, ils n’en ont pas pour autant diversifié leurs économies et restent dépendants des exportations basées sur leurs richesses naturelles. Mais l’histoire ne se répète pas nécessairement, et les dirigeants des pays riches en matières premières étudient d’autres perspectives d’avenir.

De nombreux pays africains – notamment le Ghana, le Liberia, le Mozambique, le Rwanda et l’Ouganda – montrent les premiers signes de réussite. La Zambie a récemment lancé un emprunt à hauteur de 750 millions de dollars d'obligations souveraines sur dix ans, à un taux d’intérêt annuel de 5,375 pour cent. Sursouscrite 24 fois, cette émission permettra à la Zambie d’emprunter à un taux moindre que la plupart des pays européens.

Ces évolutions reflètent la confiance croissante dans les perspectives économiques de l’Afrique et donc dans sa capacité à échapper à la malédiction des ressources naturelles. Mais le développement de ces pays est encore confronté de nombreux obstacles.

Premièrement, les gouvernements doivent trouver un équilibre entre les objectifs à long terme et les réalisations à court terme. S’ils disposaient d’un temps illimité devant eux, les pays les moins développés mais riches en matières premières investiraient tout d’abord dans le capital humain et les institutions, pour canaliser ensuite les revenus croissants issus des matières premières dans les infrastructures et ensuite diversifier leur économie en développant l’agriculture, la production et les services.

Mais dans la réalité, l’économie politique de ces pays nécessite des avantages à court terme, en commençant par les services de base comme l’eau potable et l’électricité. Quand les gouvernements ne donnent pas suite à ces demandes de base, les populations manifestent, souvent de manière destructrice. Cet été en Guinée par exemple, la frustration des citoyens liée à une pauvreté généralisée et à la faiblesse des institutions, couplée au souvenir des exactions ethniques et à la méfiance envers un processus démocratique mal connu ont entraîné des manifestations violentes.

Deuxièmement, le développement dépend à la fois des moyens financiers et de conditions adéquates. Mais souvent, les conditions imposées au financement bloquent les investissements.

Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont été en première ligne des acteurs institutionnels prêts à aider, offrant des annulations de dettes et des financements à des conditions préférentielles. Mais les strictes réformes structurelles qu’ils exigent, bien que bénéfiques en théorie, pourraient ne pas stabiliser, et encore moins encourager, le processus de développement.

De nouveaux venus, en particulier la Chine, sont déjà une source alternative de financement bon marché. Mais les Chinois s’attendent en contrepartie à des ouvertures commerciales et dans une certaine mesure à pouvoir exercer une influence politique.

Les fonds souverains participent aussi de plus en plus au financement du développement. Mais malgré le fait qu’ils soient propriété des États et soumis à des décisions d’ordre politique, ils fonctionnent comme des entreprises commerciales (à l’exception possible des véhicules d’investissement du fonds pétrolier souverain norvégien).

Le financement des projets les plus onéreux – la mise en place de systèmes d’énergie renouvelable, la construction des infrastructures de transport, et l’urbanisation – doivent provenir d’investisseurs institutionnels étrangers. Mais les investisseurs privés de haut niveau hésitent à effectuer des placements lourds et non liquides dans des pays fragiles et volatiles. Ceux qui sont prêts à la faire demandent souvent des primes de risque qui augmentent radicalement le coût du capital, souvent à des taux usuriers.

Des compagnies minières internationales comme Rio Tinto travaillent de plus en plus étroitement avec des géants des économies émergentes comme le chinois Chalco pour soutenir le développement. Bénéficiant de volumineux investissements, elles ont l’habitude d'emprunter à des taux relativement faibles pour créer de la valeur. Mais compte tenu de la baisse amorcée du prix des matières premières, même les entreprises les plus agressives réévaluent leurs ambitieux projets d’investissement – une tendance reflétée par la récente décision du géant minier brésilien Vale de suspendre ses investissements en Guinée.

Déjouer la malédiction des ressources nécessite, avant tout, un gouvernement national fort et légitime, soutenu par des dispositifs  institutionnels efficaces. Mais il faut également une communauté mondiale d’investissement – publique, privée et mixte – qui puisse se représenter un avenir au-delà des vues à court terme, de l’ignorance et du cynisme. Après tout, miser sur des dirigeants, sur une vision et des gains potentiels ne doit pas forcément se limiter aux investissements dans les start-ups californiennes du secteur technologique.

La Guinée, qui progresse malgré un revenu annuel par habitant qui ne dépasse pas 450 dollars, incarne le potentiel des pays les plus pauvres du monde à dépasser les attentes. Les investisseurs devraient en prendre note.

Simon Zadek

Traduit de l’anglais par Julia Gallin


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